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Polybe, à qui nous empruntons la plupart de ces détails, et qui, comme étranger, a été peut-être plus sensible à l’émouvante nouveauté de ces scènes, leur attribue un grand effet moral. C’est une bonne fortune pour nous, en pareil sujet, de pouvoir nous appuyer sur les paroles d’un témoin si véridique, de tous les historiens le moins déclamateur. Il fait part de ses impressions, et, comme s’il voulait répondre d’avance à toutes nos curiosités, il nous dit de point en point quels sentimens les différentes parties du discours funèbre éveillaient dans la foule. Pendant la première partie, consacrée aux vertus et aux actions du défunt : « Voyez ce qui arrive, dit-il, les assistans se rappellent, se remettent sous les yeux tout ce qu’il a fait, et non-seulement ceux qui ont pris part à ces actions, mais ceux-là même qui n’y ont point participé sont tellement émus, que le deuil d’une famille devient le deuil du peuple. » Dans la seconde partie, dans l’éloge des ancêtres : « Ainsi la renommée des citoyens vertueux se renouvelle sans cesse et devient immortelle ; ainsi se fait connaître à tous et passe de bouche en bouche, à travers les générations, la gloire de ceux qui ont bien servi la patrie. » Ce qui paraît avoir encore plus touché Polybe, c’est l’apparition des ancêtres : « Non, dit-il, il n’est pas de plus beau spectacle pour un jeune homme épris de la gloire. Voir la réunion de tous ces hommes célèbres, par leur vertu, les voir en quelque sorte revivre et respirer dans leurs images, quel puissant aiguillon ! Non, on n’imagine rien de plus beau. » Cet effet produit par les images sur la jeunesse romaine est constaté aussi par Salluste, non pas, il est vrai, sur la jeunesse de son temps, dont le cœur n’était plus ouvert à l’enthousiasme ; Salluste parle non de ce qu’il a vu autour de lui, mais de ce qu’il a appris, et renvoie précisément au temps de Polybe : « J’ai souvent entendu dire que Q. Maximus, P. Scipion et les autres grands hommes de notre république avaient coutume de déclarer que la vue des images de leurs ancêtres allumait dans leur âme un ardent amour de la vertu. » Ces témoignages, surtout celui de Polybe, parlant de ce qu’il a vu, prouvent qu’il ne s’agit pas ici d’une fastueuse et vaine cérémonie faite uniquement pour es yeux.

La vue des ancêtres debout sur leurs chars avec l’appareil de leurs dignités, en exaltant les âmes d’élite, ne laissait pas indifférente la multitude même, qui, devant ce long cortège et ce défilé des siècles, se familiarisait avec les annales de Rome. On s’accoutumait à reconnaître les hommes illustres, à les distinguer les uns des autres, à mettre les noms sur les visages, on se les montrait du doigt ; Celui-ci a vaincu Annibal ! celui-là a détruit Carthage ! On ne peut guère imaginer un meilleur cours populaire d’histoire