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S’épouser, c’est le désir qu’on retrouve au fond de toutes ces chansons paysannes. Le mariage est le port dans lequel le paysan aime à se reposer après les épreuves de l’absence. Une fois son tour de France achevé ou son temps de soldat fini, il veut s’établir dans son village et s’y marier. Il ne se sentira dans son assiette que lorsqu’il aura un coin de terre, une femme et des enfans. Quand l’arbre a poussé tous ses boutons, épanoui toutes ses fleurs, il se recueille et tout son organisme ne tend plus qu’à transformer les fleurs en fruits. Pour le paysan, se marier c’est fructifier. Aussi, une fois la première fièvre d’amour passée, il aspire au mariage avec une hâte et une énergie ardentes. Il n’a pas le temps d’attendre, il est comme l’alouette qui doit faire son nid quand les blés sont en herbe, et qui court risque de manquer sa couvée si elle laisse s’achever le printemps sans s’accoupler. Cette impétuosité des jeunes garçons en quête d’une femme est naïvement et lestement exprimée dans la chanson franc-comtoise intitulée : Paysan, donne-moi ta fille. Le paysan se fait tirer l’oreille, il trouve sa fille encore trop jeunette et conseille au galant de « faire l’amour en attendant, » mais celui-ci ne veut pas attendre sous l’orme et réplique vertement :

L’amour je ne veux plus faire,
Et voilà tout !
Garçon qui fait l’amour longtemps
Risque fort de perdre son temps,
Et voilà tout!


La jeune fille est tout aussi impatiente. Une chanson lorraine nous la montre « malade et gémissant d’amour » dans sa chambre; elle se dépite de voir ses compagnes mariées avant elle et s’écrie dans un mouvement de désespoir : «Si je meurs sans être mariée, je veux que sur ma tombe on mette en lettres engravées :

Une jeune fille est morte
A la longueur du temps,
Est morte fille et sage
A défaut d’un amant. »


Aussi quand les accords sont faits, quand le jour du mariage est fixé, quand le lendemain, dès le fin matin, les violonneux et les cornemuseux doivent venir donner l’aubade aux fiancés, ceux-ci ne peuvent fermer l’œil de toute la nuit. Les heures leur semblent se traîner avec des ailes de plomb, à chaque instant ils vont à la fenêtre voir si le jour n’apparaît point encore; dans leur impatience ils prennent le clair de lune pour le point du jour, et, s’apercevant de leur erreur, ils interpellent la lune, qui n’en peut mais.