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Belle lune, ô belle lune,
Que n’avances-tu d’un pas!..
Si j’avais mon arbalète
Je te jetterais à bas...


IV.

Enfin le jour tant attendu est arrivé. Les cloches de l’église sonnent en volée; les noceux, chamarrés de rubans, font cortège aux époux que précèdent les musiciens. Au retour, sur le passage de la noce, les gars tirent des coups de fusil et les enfans poussent des cris de joie. On n’entend que musique et tapage, fracas de bouteilles qu’on débouche et de verres qu’on trinque. Ce jour-là, les mariés veulent s’étourdir pour ne point penser aux choses graves du lendemain, — car il y aura un lendemain, et, pour l’épouse surtout, un lendemain de soucis et de labeur. Avec les dernières sonneries de la messe, les frivolités et les insouciances de sa vie de jeune fille se sont envolées. Heureusement elle est encore toute à la joie de sa dignité nouvelle et elle ne se sent pas d’aise dans sa neuve toilette de noce. « Quand je me suis mariée, me disait une vieille paysanne, ah! bonnes gens, je ne me tenais pas de joie, il me semblait que toutes les charrues du village allaient virer pour moi. » Parfois cependant, au milieu de cette allégresse tumultueuse, l’épousée a un vague pressentiment des tristesses de l’avenir, elle sent ses paupières se mouiller en songeant qu’il faut dire adieu « à sa fleur de jeunesse. »

Quand je vois ces filles à table,
Assises devant moi en ces lieux,
Quand je les vois et les regarde,
Les larmes me tombent des yeux.


Et si ce pressentiment ne lui vient pas de lui-même, la Chanson des mariés se charge de le faire naître. A la fin du repas de noce, au dessert, de vieilles femmes s’avancent solennellement, chacun fait silence, et dans ce calme, succédant subitement au tumulte de la fête, les vieilles, pareilles à d’austères statues de l’expérience, chantent d’une voix cassée les nouveaux devoirs de la jeune épouse. Elles lui disent que « le mariage est un lien si fort qu’il ne se déliera qu’à la mort, » et elles ajoutent :

L’époux que vous prenez
Sera toujours le maître ;
Ne sera pas toujours doux
Comme il devrait l’être,
Mais pour le radoucir
Faudra lui obéir.