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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/713

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Et quand on s’indigne aujourd’hui contre ceux qui ont profité d’une faute incessamment commise depuis que la chambre existe, lorsqu’on s’élève avec amertume contre cette assertion que les derniers ministères n’auraient pas trouvé « une majorité solide acquise à leurs propres idées, » ce n’est plus qu’une protestation inutile, une vaine récrimination. Mieux vaudrait reconnaître, ne fût-ce que pour s’éclairer de l’expérience, que cette inconsistance d’une majorité mal pondérée est justement ce qui a rendu plus facile la dernière révolution ministérielle. Nous nous souvenons d’un temps où des républicains croyaient servir la république par l’élection Barodet à Paris ; ils prétendaient plus ou moins naïvement donner de la force à M. Thiers contre les royalistes de l’assemblée. Le lendemain éclatait le 24 mai 1873, et les victorieux de la veille, en protestant contre la conséquence de leur étrange victoire, convenaient tout bas, mais un peu tard, qu’avec plus de modération ils auraient peut-être mieux réussi à servir la république et à fortifier M. Thiers. C’est l’éternelle histoire des partis. Il n’y a pas eu de vote contre le dernier ministère, dira-t-on, la majorité ne lui a pas refusé son appui, la chambre ne lui a jamais manqué dans les occasions décisives. Un vote matériel marchandé, accordé avec toute sorte d’arrière-pensées ou d’équivoques ne suffit pas. Ce qui aurait eu une efficacité bien plus réelle, c’eût été une majorité vraie, éclairée, comprenant la situation, se prêtant à toutes les transactions nécessaires dans un intérêt supérieur. Cette majorité n’a jamais existé ni pour le dernier cabinet ni pour celui qui l’a précédé, c’est de toute évidence.

S’il y avait un homme qu’on dût désirer maintenir au pouvoir, une fois la constitution mise en mouvement et consacrée par les élections, c’était M. Dufaure. Celui-là offrait la garantie de son intégrité, d’un nom honoré : il était et il aurait pu rester le porte-respect du régime nouveau ; il avait de plus l’avantage d’inspirer toute confiance au chef de l’état. Qui ne se souvient des mille difficultés qui lui ont été créées, des tracasseries dont il a été harcelé, le plus souvent pour des puérilités véritables, pour des détails de crédits ? M. Dufaure a été réduit un instant à s’épuiser dans de misérables querelles, jusqu’au jour où, fatigué, il a rejeté le fardeau du pouvoir, et il y a des républicains intelligens qui se sont sentis soulagés : ils avaient renversé M. Dufaure, c’était quelque chose ! Lorsque M. Jules Simon était à son tour appelé au ministère le 12 décembre 1876, on aurait dû tout au moins se souvenir de l’expérience de la veille et donner au nouveau président du conseil toute la force morale dont il avait besoin pour dominer les difficultés intimes du gouvernement, puisqu’on parlait toujours de ces difficultés ; on aurait dû lui ouvrir un crédit illimité de confiance dans la mission délicate qu’il avait à remplir ; on devait songer enfin que la présence de M. Jules Simon au pouvoir compensait et au-delà les concessions que les