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Dans de semblables conditions, le veuvage est une délivrance pour celui qui est jeune et qui reste. Aussi le paysan se console-t-il rapidement du départ de sa vieille épouse. Il étale sans vergogne sa joie au grand soleil :

Menuisier, ma femme est morte,
Faites un cercueil bien cloué
De peur qu’elle n’en sorte !
Celle qui faisait tant le diable à la maison,
Dieu merci, elle est donc morte!


Sans vergogne aussi, le père dit à sa fille, mal mariée et se plaignant d’avoir un mari de quatre-vingt-dix ans : « Prends patience, il est souvent malade, bien sûr il en mourra; tu seras héritière de tout ce qu’il aura. » A quoi la fille, moins endurante parce que la jeunesse la démange, répond avec toute la rudesse et tout le bon sens campagnards :

Au diable la richess’ quand le plaisir n’y est point!
J’aimerais mieux un homme à mon contentement
Que toute la richess’ de ce riche marchand.

Un jour, quand je s’rai morte, j’n’emport’rai rien du tout,
Qu’une vieille chemise et un drap par dessus;
Voilà la belle morte, on n’y pensera plus !


La mort, le paysan la voit venir sans grand émoi et d’un œil plus calme que la vieillesse. Jeunes ou vieux, femmes ou garçons, accueillent la faucheuse avec la résignation stoïque des animaux. Le jeune conscrit déserteur, qui a tué son capitaine et qu’on va fusiller, se borne à faire à ses camarades cette dernière recommandation :

Soldats de mon pays,
Ne dites rien à ma mère.
Mais dites-lui plutôt
Que je suis mon drapeau
Dans l’pays étranger,
Que j’n’en reviendrai jamais.


Et le soldat qui s’est battu six heures entières et qu’on rapporte blessé répond, quand on lui demande s’il a regret de mourir :

Tout le regret que j’ai au monde
C’est de mourir sans voir ma blonde.


On va en toute hâte quérir sa blonde bien-aimée; elle arrive sur le champ de bataille comme Edith au cou de cygne dans la légende anglaise, elle se penche au chevet du moribond, le questionne sur sa blessure et fait vœu, pour le guérir, « d’engager tous ses habits, son anneau d’or et sa ceinture. »