Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/834

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persuader de rompre le mariage de M. de Vendôme. « Je feré ce que je pouré, afin de fayre les noces ou pour le moyns les fyansailles à Moulins, et vous asure quy les fera ou par amour ou par forse, et si ne le fayt, souvené-vous de ce que je vous dys. »

Moulins était la ville principale du duché de Bourbon ; au XVe siècle on y avait élevé un grand château ; la couronne l’avait confisqué après la condamnation du connétable. C’est là que Henri II avait donné rendez-vous au roi de Navarre. Celui-ci était arrivé, en maugréant, voyageant à petites journées. Sa résistance était à bout : sans doute il avait perdu toute espérance du côté de Charles-Quint. Le roi de France lui offrit de l’argent, une rente sur les recettes de Gascogne. Le Béarnais était besoigneux ; il sermonna Antoine de Bourbon sur son luxe et ses folies, et lui recommanda d’adopter les habitudes économes de la cour de Navarre. Le mariage fut célébré le 20 octobre 1548 ; la jeune princesse ne fut pas cette fois traînée à l’autel. « Vous asure, écrivait Henri II, que je ne vys jamais maryé plus joyeuse que sete-sy, et ne fyt jamais que ryre. » Antoine de Bourbon était beau, brave, séduisant ; Jeanne d’Albret ne connaissait pas encore ses défauts. Les longs ennuis de Plessis-les-Tours allaient finir pour elle, comme les incertitudes qui tourmentaient et fatiguaient son âme délicate. Elle fit certainement bon visage à Pierre de Ronsard, qui lui offrit un épithalame.

Quand mon prince épousa
Jeanne, divine race,
Que le ciel composa
Plus belle qu’une grâce,
Les princesses de France,
Ceintes de lauriers verts,
Toutes d’une cadence
Lui chantèrent ces vers :
O hymen ! hyménée,
Hymen, ô hyménée, etc.

Les jeunes époux partirent pour Vendôme ; ils y restèrent quelques semaines avant d’aller en Béarn. La reine Marguerite ne jouit qu’un an du bonheur de sa fille : elle mourut le 21 décembre 1549. Elle avait presque regardé comme une mésalliance le mariage de sa fille avec un « sire des fleurs de lys ; » mais elle aimait sa fille d’une affection tendre et la voyait heureuse. Le prince lorrain que Jeanne avait dédaigné allait devenir un des arbitres et maîtres de la France ; mais la reine de Navarre allait bientôt donner elle-même le jour à celui qui devait triompher des Guises et s’appeler Henri IV.


Auguste Laugel.