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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/840

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dans la sobriété du ton et dans la simplicité de la silhouette. La pose est naturelle, il n’y a à reprendre qu’un peu d’indécision dans le faire des chairs. La tête de la femme est modelée avec beaucoup plus de hardiesse et de fermeté. Il est vrai que ce portrait de femme, baigné d’air, plein de couleur et de vie, et qui a quelque chose de la grâce cavalière d’une figure de Reynolds, est une œuvre de maître.

Parmi les portraitistes, il en est qui peignent des portraits ; il en est d’autres qui ne peignent que des robes et des fonds : M. Clairin est de ceux-ci. Comme cette robe de satin violet brille en éclatans reflets, comme ce fauteuil de peluche verte chatoie, comme ce beau rideau mordoré miroite, comme ce tapis de moquette orange flamboie 1 Malheureusement la tête pâlotte de la petite fille s’efface dans cette orgie de couleurs et semble peinte avec du lait doux. Et voyez l’étrange attitude que M. Clairin a donnée à son modèle ! Est-ce là la candeur naïve et l’adorable gaucherie de l’enfance ? Cette petite fille prend une pose de conquérant. Elle a la main sur le dossier d’un fauteuil, comme un général sur un affût de canon. Elle frappe du pied, elle piaffe, pourrait-on dire. A voir les gonflemens du rideau et les furieuses ondulations de la chevelure blond-chanvre, il semble qu’il fasse grand vent dans cet appartement si bien calfeutré ! M. Clairin mérite plus d’éloges pour son portrait d’un conseiller à la cour de cassation. Le rouge de la robe, exalté par le vert rompu d’un rideau, éclate avec une vigueur superbe. C’est un effet de couleur très franche et très simple, qui vaut mieux que toute la rhétorique de rapports, d’alternances et de juxtapositions quintessenciées du portrait de la petite fille. Au nombre des portraits de fond et de robe, on n’aurait garde d’oublier les deux toiles tapageuses de M. Benjamin Constant, qui cependant avait peint avec tant de talent le Mahomet II. Riches étoffes, brillans ajustemens, tentures somptueuses, magnifiques fauteuils, vases de Chine, cornets du Japon, émaux cloisonnés, mais de têtes, point. M. Blanchard, lui aussi, nous paraît avoir ces tendances ; mais s’il cherche des fonds, au moins ne leur sacrifie-t-il pas les portraits. Il tient les accessoires dans une gamme atténuée qui ne frappe pas le regard au détriment de la figure. Son portrait de la duchesse de Castiglione-Colonna, peint avec science et avec goût, a la grande allure et l’air royal du modèle. La duchesse est vêtue d’une robe brune sur laquelle s’arrondit une écharpe de crêpe de Chine d’un violet attiédi, ramagée de fleurs et d’oiseaux. Au second plan, on distingue sur une table massive, au milieu d’autres objets, le buste de Bianca-Capello, ce bronze de Mme Colonna, qui sculpte et qui peint comme si elle n’était ni belle ni duchesse.