Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peindre M. Paul Déroulède, dont on a lu les valeureux Chants du soldat et dont on connaît l’intrépidité sur les champs de bataille de 1870. Toutefois M. de Neuville n’a pas réussi ce petit portrait en pied. Il y a là une profusion d’équipement déplacée. La capote roulée en sautoir autour du corps, la lorgnette, le revolver, la cartouchière au ceinturon, et la canne dans la main, le jeune lieutenant de chasseurs ainsi accoutré fait involontairement songer à Robinson Crusoé partant pour explorer son île. Nous savons trop bien que l’officier d’infanterie doit, comme Bias, porter tout avec lui ; mais de ce que cet attirail est nécessaire en campagne, il ne s’ensuit pas qu’il le faille reproduire dans un portrait. Il y a de M. Titeux un petit portrait en pied, celui du colonel G…, qui est de beaucoup plus simple. Pour ne porter que son sabre, le colonel n’en a pas un aspect moins martial. M. Portaëls a peint aussi un portrait de M. Déroulède, qui, en dépit d’une facture un peu veule et d’une couleur un peu terne, mérite d’être signalé.

Le portrait de M. Rubé par M. Mathey a plus d’effet que de fond, comme la peinture de tous ceux qui de près ou de loin tiennent à l’école impressionniste. La pose est fort originale. Le prestigieux décorateur est debout, piétinant sur une immense toile qu’il a déjà à demi couverte des ramures feuillues d’une forêt d’opéra. Un bon portrait aussi est celui de M. A. B… par M. Miralles. Il y a là de la couleur, de la vie et beaucoup de ressemblance. La tête, vivement éclairée, s’épanouit en pleine lumière ; mais que cette facture « pignochée, » procédant par petites touches juxtaposées et substituant la mosaïque à la peinture, est agaçante ! Le portrait de M. Régnier par M. Escalier nous cause la même irritation, quoique la spirituelle physionomie du grand comédien soit bien exprimée. Certes nous n’aimons pas les portraits lissés, léchés et vernis, où on peut se mirer comme en une glace ; mais encore faut-il qu’on puisse voir un portrait de près, et qu’une peinture empâtée par places, par d’autres laissant à nu le gros grain de la toile, n’ait pas l’aspect d’une mosaïque dégradée. M. Edouard Bertier a deux portraits de femme, empreints d’une grâce simple et d’une distinction aristocratique, qui rappellent par leur délicate sobriété de tons et leur sérieuse science de modelé la manière de Cabanel. Le grand portrait en pied de Mme la générale T… est surtout digne d’éloges. Le galbe est élégant, le visage est fort ressemblant, et le bras nu se détache en plein relief sur le noir de la robe. Dans le portrait de lady S… par M. Bastien-Lepage, il n’y a guère à louer que l’étoffe de la robe, supérieurement rendue en ses chatoiemens satinés, et la merveilleuse facture des mains. Plaquée contre une tapisserie, la figure semble en faire partie, tant elle manque de vie et de relief. On a