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de privations et d’économie un petit pécule, le même Chinois, en compagnie, de deux ou trois coreligionnaires, loue un petit magasin, et va plein de confiance aux maisons étrangères pour leur demander des marchandises à crédit. Il est rare qu’on les lui refuse. Si les débutans sont seulement à peu près exacts dans leurs premiers paiemens, on leur livrera bientôt plus de valeurs qu’ils ne voudront en prendre. Un crédit de 30,000 à 40,000 francs est chose fort commune. Cette confiance des maisons étrangères dans la bonne foi des Asiatiques est d’autant plus extraordinaire, qu’ils ne signent aucun engagement à échéance fixe et qu’ils peuvent prolonger le paiement d’une dette pendant deux ou trois ans. Cette manière d’opérer est inqualifiable et imprudente au dernier degré ; elle cause d’énormes faillites ou plutôt des liquidations désastreuses, car lorsqu’un marchand chinois fait banqueroute, c’est peine inutile que de chercher à vouloir en tirer quoi que ce soit. La dette arriérée ou flottante de ces rusés marchands en résidence à Manille peut être évaluée en ce moment à 40 millions de francs. Quoiqu’ils soient justiciables des tribunaux espagnols, le gouvernement nomme l’un d’eux, le plus riche, capitan de los Chinos ; il est en quelque sorte responsable de la conduite politique de ses compatriotes. Le capitan porte la veste bleu d’azur, et la vara, bâton de commandement, lorsqu’il se présente officiellement au palais ou qu’il exerce ses fonctions. Il est très fier de son titre. Malheureusement les Indiens en rient et ne manquent jamais une, occasion d’insulter un Chinois. Un jour, l’un d’eux fut injurié quelques instans après avoir reçu du gouverneur l’investiture de sa charge ; pâle de colère, il retourne au palais, remet son bâton entre les mains du gouverneur en disant que, puisqu’on ne sait pas le faire respecter, sa dignité l’oblige à donner sa démission. Le capitaine-général, pour le calmer, fut contraint de publier un bando, par lequel il était défendu sous des peines sévères d’invectiver les Chinois. Comme la municipalité leur a concédé, pour enterrer leurs morts, une butte magnifique, couronnée de bambous, on ne voit pas à Manille, comme à San-Francisco de Californie, les Célestes défunts reprendre la route de leur pays. Le jour des trépassés, les Chinois se rendent en masse aux tombes de leurs amis décédés pour les couvrir de plats de riz et de viande. Les Indiens, peu délicats, pillent ces offrandes et les mangent joyeusement sur place. On ne peut leur en vouloir, car jamais le clergé ne leur apprit de respecter un infidèle mort ou vivant.

À la fin de 1874, l’administration des douanes des Philippines s’est décidée à publier une statistique du commerce extérieur de l’archipel. Depuis 1867, pareil travail n’avait été obtenu, et il est probable qu’il ne sera pas repris de quelques années. Les employés des administrations s’y renouvellent à chaque changement de