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la violence et qui poussait des cris de mort autour de sa prison. Pour le soustraire à ces fureurs et jusqu’au moment où il partit pour Paris, les autorités se virent dans la nécessité de mettre sur pied la garde nationale et la garnison de Saint-Lô. Une lettre du maire au ministre de l’intérieur nous révèle que, dans la nuit du 22 au 23 août, les jours de M. de Polignac furent sérieusement menacés. Un formidable incendie avait éclaté aux abords de la prison, et c’est lui que la foule accusait d’avoir causé ce sinistre, qui rappelait les incendies du mois précédent.

Dans la soirée du jour où il avait été arrêté, le prince de Polignac, ayant appris l’arrivée à Saint-Lô du maréchal Maison, du baron de Schonen et de M. Odilon Barrot, commissaires délégués par le nouveau gouvernement pour accompagner Charles X à Cherbourg, qui retournaient à Paris, leur mission accomplie, demanda à les voir, invoquant leur autorité pour obtenir d’être délivré. Ils se rendirent à son appel, traversant, pour arriver à lui, une foule irritée. — Il n’existe contre moi aucun mandat de justice, leur dit-il. Pourquoi m’a-t-on arrêté? On ne peut me retenir plus longtemps dans cette prison sans violer dans ma personne les droits de la liberté individuelle. — Pour toute réponse, M. Odilon Barrot lui fit observer qu’en ce moment la prison seule protégeait sa vie contre les fureurs de la foule. — Qu’ai-je donc fait pour mériter cette haine? demanda M. de Polignac. Dans le passé, j’ai obéi à des ordres sacrés pour moi; dans l’avenir, je n’ai d’autre désir que de me retirer à la campagne. — Vous avez commandé le meurtre de vos concitoyens, répondit M. Odilon Barrot, non pour la défense des lois, mais pour leur violation flagrante. C’est un crime que le code pénal punit de mort. Vous n’avez pas de temps à perdre pour préparer votre défense et pourvoir à votre salut. — Après un entretien durant lequel le prisonnier ne cessa de manifester l’étonnement de l’innocence persécutée, il proposa à M. Odilon Barrot de se charger de sa défense; mais celui-ci, qui venait d’être nommé préfet de la Seine, fut contraint de décliner l’offre de l’ancien président du conseil. Avant de laisser s’éloigner les commissaires, le prince de Polignac écrivit au baron Pasquier, nouvellement promu à la présidence de la chambre des pairs, une lettre qu’il leur remit en les priant de la faire parvenir à son adresse. Dans cette lettre, il réclamait sa mise en liberté et invoquait le privilège réservé aux pairs par la charte de 1815 et consacré par celle de 1830, de ne pouvoir être arrêté qu’en vertu d’une décision de la chambre dont ils faisaient partie. A lire cette requête empreinte de calme et de confiance, on pouvait croire que le prince de Polignac ne soupçonnait même pas la gravité de l’acte d’accusation que la France entière dressait déjà contre lui.