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Tandis que ces incidens se déroulaient au fond de la Normandie, enveloppés et perdus dans ce drame solennel, la chute d’une dynastie, qui venait de se dénouer à Cherbourg, la France assistait, satisfaite et triste à la fois, à une révolution que les uns saluaient comme une aurore et que les autres déploraient en y voyant une source inépuisable de malheurs à venir. Le duc d’Orléans proclamé roi des Français, la direction des affaires confiée à des hommes nouveaux, l’avènement de la bourgeoisie au pouvoir, devenu d’un espoir incertain un fait accompli, la charte modifiée, tels étaient les traits principaux de cette révolution. On était dans la période aiguë de la crise quand, le 6 août, un député de la Seine, M. Eusèbe Salverte, se faisant l’organe des passions qui devaient agiter longtemps encore la patrie française, déposait sur le bureau de la chambre une proposition ainsi conçue : « La chambre des députés accuse de haute trahison les ministres signataires du rapport au roi et des ordonnances en date du 25 juillet 1830. » Le 13 août, il développait cette proposition avec une extrême violence et la faisait prendre en considération à l’unanimité des votans. Enfin, le 20 août, la commission à laquelle l’examen en avait été confié sollicitait et obtenait, après un vif débat, « d’être investie du pouvoir conféré par le code d’instruction criminelle aux juges d’instruction et aux chambres de mise en accusation, » c’est-à-dire d’interroger les prévenus, de citer et d’entendre les témoins, de décerner des mandats d’amener, de dépôt et d’arrêt.

Peu de jours après, la lettre du prince de Polignac au baron Pasquier arrivait à la chambre des pairs, en même temps qu’un avis officiel du garde des sceaux, annonçant que l’ancien président du conseil et le comte de Peyronnet étaient détenus, l’un à Saint-Lô, l’autre à Tours. Cet avis ne faisait mention ni de M. de Guernon-Ranville ni de M. de Chantelauze, parce qu’ils n’appartenaient pas à la chambre haute. En ce qui concernait M. de Peyronnet, l’assemblée estima que, dépossédé de la pairie, par l’article 78 de la nouvelle charte, en même temps que ses collègues nommés par Charles X, il ne jouissait plus du privilège des pairs, qu’en conséquence elle n’avait pas à délibérer sur son sort avant d’avoir été constituée en cour judiciaire. Quant à M. de Polignac, considérant qu’il avait été arrêté et détenu sur la « clameur publique » qui le poursuivait, elle pensa qu’il résulterait pour elle une lourde responsabilité si elle refusait de maintenir la détention, d’autant plus qu’elle était a officiellement prévenue de la mise en accusation proposée par la chambre des députés et que personne ne pouvait avoir la pensée de se dérober à un aussi grand accusateur. » Pour ces motifs, la chambre des pairs autorisa l’arrestation du prince de Polignac. C’est à la suite de ces décisions qui préludaient au retentissant procès des derniers ministres