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pire peuvent promettre plus qu’ils n’ont déjà donné ? La politique de l’alliance des modérés a l’avantage de n’avoir point été sérieusement mise à l’épreuve, et de plus elle a certainement le mérite de répondre aux plus profonds instincts du pays, aux plus intimes nécessités de sa situation intérieure et extérieure.

Au fond, quelques efforts que fassent les partis extrêmes pour gagner l’opinion à leur cause, et nous oserions même dire, quel que soit le résultat apparent des élections, le pays reste toujours modéré. Il l’est par ses sentimens, par ses intérêts, par sa nature, par ses traditions. Si on lui présente une politique qui puisse mettre en doute les conséquences générales de la révolution française, il n’est point douteux qu’il reculera, et c’est pour cela qu’il est instinctivement en garde contre les retours à la monarchie traditionnelle. Il peut donner des voix par des raisons personnelles ou locales à M. Chesnelong, à M. de Franclieu, à M. le duc de Bisaccia, à coup sûr ceux mêmes qui donnent ces voix ne croient pas voter pour la restauration de M. le comte de Chambord, pour le rétablissement des influences ecclésiastiques, pour la guerre avec l’Italie dans l’intérêt du pape. C’est contraire au tempérament public. Si on prétend soumettre le pays à un régime d’agitation et de perturbation sous le nom de radicalisme, il est bien certain qu’il n’en voudra pas davantage, et eût-il voté pour des radicaux, il ne tarderait pas à les abandonner. L’histoire des affaires intérieures de la France est pleine de ces contradictions populaires qui ne sont qu’apparentes. Le pays répugne aux extrêmes. Ce qu’il demande toujours en réalité, c’est qu’on ne l’inquiète pas, qu’on ne le promène pas sans cesse à travers des crises qu’il ne comprend guère, qu’on le laisse reprendre ses forces dans la paix par le travail, par l’industrie et le commerce. Ce qu’il veut, c’est qu’on ne le mette pas perpétuellement en présence de ces fantômes d’ancien régime et de révolution dont il n’a que faire, qu’on s’abstienne de le troubler dans sa libre sécurité, qui après tout est son premier bien. Évidemment quand, sous prétexte de stabilité, on ébranle tout du soir au matin, le pays ne comprend plus. Lorsque dans un prétendu intérêt conservateur on fait appel à des partis qui ouvertement préparent à leur profit ou rêvent des révolutions nouvelles, le pays se défie, et aux prochaines élections M. le duc de Broglie est certainement exposé à se trouver compromis par ces alliances à l’aide desquelles il a fait et il soutient son ministère.

Le pays ne veut aujourd’hui ni guerres, ni révolutions, ni restaurations abusives, ni crises inutiles ; il veut la paix au dedans et au dehors. C’est à cette situation que répondrait la politique de l’alliance des modérés libéraux, parce que seule elle tient compte des instincts divers, des intérêts complexes de la France, parce que seule elle ne peut être suspecte ni de connivences bonapartistes, ni de complaisances pour les