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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/116

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circulation, respiration, nutrition et bien d’autres encore, n’est pas nécessaire !

La question est maintenant de savoir si les séries linéaires simultanées de causes et d’effets sont toutes solidaires ou s’il n’en est pas qui, dans le concours général, demeurent indépendantes et par suite amènent, quand elles s’unissent aux autres, des effets imprévus. Kant a pensé que tous les phénomènes coexistans sont dans une action réciproque universelle, et qu’à cette unique condition ils peuvent constituer un seul état de choses et être de notre part l’objet d’une seule pensée. M. Cournot au contraire, s’appuyant sur l’observation, estime qu’il est dans le monde des séries de phénomènes libres d’attaches latérales pour ainsi dire, et dont la marche, bien que soumise, comme celle des comètes, à des lois fixes, produit, à la rencontre de séries différentes, des résultats imprévus. Un homme se noie par imprudence : y avait-il liaison nécessaire entre le cours du fleuve et le concours de circonstances qui y ont précipité cet homme ? Une comète viendrait, comme on l’a cru longtemps possible, à bouleverser notre globe, qu’il n’y aurait pas davantage influence réciproque de la loi de son mouvement et de la loi des mouvemens terrestres. Deux frères d’armes meurent à la même heure sur deux champs de bataille éloignés l’un de l’autre. Hésitera-t-on à mettre sur le compte de circonstances indépendantes cette fatale coïncidence ? Peut-être une amitié d’enfance les a-t-elle poussés à se livrer aux mêmes destinées ; mais les conséquences de cette résolution et leur commun malheur ne sont pas solidaires, et quand même les opérations des armées distinctes où ils servaient auraient été dirigées par un même esprit et une même volonté, soutiendra-t-on avec vraisemblance que tout en elles et dans les circonstances extérieures a été enchaîne de telle façon que la mort de l’un fût liée à celle de l’autre ? Si donc, en certains cas, des séries simultanées de causes et d’effets convergent nécessairement vers des résultats déterminés, il est aussi des séries indépendantes qui, venant à s’insérer dans les séries solidaires, y provoquent des événemens fortuits et accidentels. Le hasard n’est donc pas, « comme on l’a tant répété, un fantôme créé pour nous déguiser à nous-mêmes notre ignorance, ni une idée relative à l’état variable et toujours imparfait de nos connaissances, mais bien au contraire la motion d’un fait vrai en lui-même, » c’est-à-dire « de l’indépendance mutuelle de plusieurs séries de causes et d’effets qui concourent accidentellement à produire tel phénomène, à amener telle rencontre, à déterminer tel événement. »

Ce hasard réel, M. Cournot en découvre partout des traces, et dans les événemens les plus complexes, et dans les faits les plus