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particulières, se bornait à dégager les élémens spécifiques, on pourrait croire que ce fonds commun est uniquement la moyenne des besoins et des intérêts généraux de l’humanité, régularisés par un tassement séculaire. Mais quand on voit surgir des idées nouvelles qui aussitôt s’imposent et à la volonté et à la croyance, introduisent dans les rapports de l’homme avec l’homme plus d’unité, de simplicité et d’harmonie, concordent mieux avec le peu que nous savons de l’ordre universel, il n’est pas permis de douter qu’elles nous révèlent un ordre de choses supérieur à l’humanité. Nous concevons qu’elles s’imposeraient à toute volonté raisonnable, comme certaines règles de notre logique vaudraient pour des esprits dépourvus de nos organes sensibles et de notre langage, et comme les lois du monde physique continueraient de régir la matière, si l’intelligence humaine était anéantie. — Ainsi partout l’accidentel et le fortuit s’atténuent, s’effacent et disparaissent sous l’action lente et continue des causes constantes ; l’ordre se dégage du désordre apparent, comme notre monde solaire, si varié et si harmonieux, est sorti peu à peu d’une nébuleuse aux élémens épars.


III

Tels sont, esquissés à grands traits, les principes essentiels de la philosophie de M. Cournot. Nous voudrions pouvoir citer toutes les applications qu’en fait l’auteur aux divers ordres de science : là surtout se montre cet esprit de finesse qui, chez lui, l’emportait encore sur l’esprit géométrique ; là est peut-être le meilleur et le plus durable de son œuvre. Nous aimerions à montrer comment, à l’opposé des positivistes, il n’estime pas que l’obscurité augmente à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des sciences, pour quelles raisons il juge les problèmes de la vie plus obscurs que les problèmes sociaux ; nous aimerions surtout à le suivre en ses fortes considérations sur la marche des événemens humains ; mais ce serait excéder ici nos limites et dépasser notre but. Il vaut mieux, pour mettre plus en relief les idées maîtresses de cette doctrine, indiquer quelques-uns des dissentimens qu’elle peut provoquer. C’est chose permise et même requise avec un penseur qui fait, dans la philosophie, une place toujours ouverte aux sentimens individuels.

Nous ne pouvons soulever ici le difficile problème des fondemens du hasard et de la probabilité mathématique ; il a été traité avec une compétence spéciale par un profond penseur français, M. Ch. Renouvier, dont la fortune n’est pas sans analogie avec celle de M. Cournot, dans un récent Traité de logique générale. Toutefois nous sera-t-il permis de faire remarquer avec lui que le hasard réel de M. Cournot pourrait bien n’être au fond que notre ignorance