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que le feu ? — Oui, l’eau, car elle l’éteint. — Est-il quelque chose de plus fort que l’eau ? — Oui, le vent, car il la soulève. — O notre soutien suprême, est-il dans ta création quelque chose de plus fort que le vent ? — Oui, l’homme de bien qui fait l’aumône. S’il donne de sa main droite sans que sa gauche le sache, il surmonte toutes choses. »


Et plus loin :

« Toute bonne action est charité. Quand tu souris à la face de ton frère, quand tu remets un voyageur dans son chemin, quand tu donnes de l’eau à boire à l’altéré, quand tu exhortes ton prochain à bien faire, tu fais de la charité. La vraie richesse d’un homme dans l’autre vie, c’est le bien qu’il a fait dans celle-ci à son compagnon d’existence. Quand il meurt, le peuple demande : Quelle fortune laisse-t-il derrière lui ? Mais les anges demandent : Quelles bonnes œuvres a-t-il envoyées devant lui ? »


Un autre côté du Koran qui mérite notre intérêt, c’est qu’on y peut marquer le point précis où une religion devient mythologique. Nous y voyons comment un prophète qui se refusait à lui-même le pouvoir des miracles put passer aux yeux de ses contemporains pour en faire de stupéfîans, et comment le même homme qui se proclamait incapable de prédire l’avenir se trouva nanti par l’enthousiasme de ses disciples du pouvoir le plus surnaturel de prévision.

Ce serait du reste un chapitre curieux de l’histoire des opinions humaines que celui qui raconterait toutes les idées que les chrétiens se sont faites de Mahomet et du mahométisme. N’est-il pas bizarre que les chrétiens des temps carlovingiens n’hésitèrent pas un moment à se représenter Mahomet, l’iconoclaste, l’ennemi juré de toute idolâtrie, comme se faisant adorer sous la forme d’une grande idole d’or ? Dans la Chanson de Roland, Mahomet se présente flanqué à droite du roi des dieux, à gauche de Satan, roi des diables. Marcille, calife de Cordoue, jure ordinairement « par Jupiter, par Mahom et par Apollyon. » Les écrivains chrétiens des Xe et XIe siècles s’imaginent qu’on lui offre des victimes humaines. L’expédition de Robert Guiscard en Sicile, alors soumise aux Sarrasins, passe pour une croisade contre l’idolâtrie. Plus tard, Marco Polo, judicieux pourtant et bon observateur, parle des musulmans comme « des adorateurs de Mahomet. » Dans un lai de Baudouin de Sebourg, il est question d’une chrétienne qui veut abjurer sa foi devant le sultan Saladin et qui s’écrie :

Mahom voel aourer ; aportez-le-moi chà !

« Je veux adorer Mahomet, apportez-le-moi ici ! » Sur quoi Saladin commande :