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vie au désert, charme dont témoignent les voyageurs européens qui l’ont menée quelque temps, la répugnance que les Arabes ont toujours opposée à toute idée d’émigration en masse vers des régions plus fertiles ? Ce qui est certain, c’est qu’ils se sont toujours montrés très réfractaires aux civilisations qui se sont succédé sur la frontière de leur péninsule. Ils se vantent de n’avoir jamais subi le joug étranger, et cela est vrai. Alexandre rêva qu’il avait conquis l’Arabie, mais ce ne fut qu’un rêve. Trajan fit frapper des médailles pour éterniser la mémoire de cette même conquête, mais sa domination ne dépassa pas une province limitrophe et ne put même pas s’y maintenir. En fait, l’Arabie n’a pas changé depuis les jours d’Abraham. Un grand dédain du luxe et de la science, une fierté indomptable, un attachement passionné à la liberté de leurs mouvemens, l’élection des cheiks ou chefs par les membres de chaque tribu, l’hospitalité et le pillage, la guerre perpétuelle entre voisins, le goût du bien dire et de la poésie lyrique, tels sont les traits permanens et bien connus de la société, arabe, et nous n’y insisterons pas. Ce qui peut-être est moins connu, ce sont les vices barbares, les abominables coutumes, qui s’étaient perpétués sous le couvert de cette vie du désert aux dehors si poétiques et si austères.

Par exemple, l’ivrognerie était répandue chez les Arabes à un degré exceptionnel en Orient. La passion du jeu, celle des paris, et leurs suites ordinaires, faisaient de continuelles victimes. Mais surtout le sexe féminin était le souffre-douleurs de cet état social. Souvent les filles à leur naissance étaient enterrées vives, quelquefois à l’âge de six ans. Le père, après avoir ordonné à la mère de parfumer et de parer sa fille, la menait au bord d’une fosse creusée à dessein, l’y jetait la tête la première et rabattait la terre sur la pauvre enfant. La femme n’avait d’ailleurs absolument aucun droit : elle ne pouvait hériter, elle était héritée, c’est-à-dire qu’elle devenait la propriété de l’héritier de son mari défunt. De là la coutume des unions conjugales entre fils et belles-mères. La polygamie et le divorce étaient sans aucune restriction ; il est parlé dans les chroniques arabes d’une femme qui eut quarante maris. Un missionnaire américain en Syrie, le docteur Jessup, a réuni une collection d’anciens proverbes arabes qui font clairement ressortir l’état de dégradation des femmes antérieurement à l’époque musulmane. En voici quelques-uns :


« Envoyer des femmes dans l’autre monde, c’est bien faire. — Le meilleur des gendres, c’est le tombeau. — Le cœur des femmes est adonné à la folie. — Notre mère nous défend d’errer, et elle-même se plonge dans l’erreur. — Mon père se bat, et ma mère en jase. »


Tout cela dénote une grande brutalité de sentimens, et ne laisse