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tombeau d’un mort pour que celui-ci eût une monture qui pût le porter au jour de la résurrection.

On ne voit donc pas très bien ce qui, dans la situation décrite, pouvait faciliter la transformation radicale que Mahomet devait opérer. Cependant il faut noter d’abord que le fond de cet amalgame religieux est sémitique, par conséquent marqué au coin d’une certaine tendance au monothéisme, ou du moins d’une aptitude spéciale à le concevoir. La tradition arabe plonge par ses origines dans le même sol que celle d’Israël. Lors même que les motifs suffisans manquent pour adopter l’hypothèse ingénieusement développée par M. le professeur Dozy, il y a quelques années, d’une ancienne transplantation d’israélites sur le territoire de La Mecque, il ne faut pas contester qu’un sanctuaire comme la Kaaba devait diriger les esprits vers le monothéisme. Les panthéons exhalent toujours un certain parfum d’unité divine ; les dieux nombreux qu’on y voit réunis font naître le sentiment du divin, c’est-à-dire de leur essence commune, et le divin, à son tour, mène à l’idée d’un Dieu. Il y eut, avant Mahomet, plus d’un mouvement monothéiste en Arabie. Si celui dont il fut l’initiateur les dépassa tous en intensité et en durée, c’est sans doute que les esprits étaient plus mûrs, et il est naturel que La Mecque, avec ses traditions patriarcales, ses familles sacerdotales, son prestige de capitale religieuse, ait été le foyer de la révolution monothéiste.

Les prodiges qui, d’après certaines traditions musulmanes, persanes surtout, auraient signalé la naissance de Mahomet, sont des inventions de date relativement récente ; cela est aujourd’hui de notoriété. Ni Mahomet lui-même, ni aucun de ses contemporains n’y font la moindre allusion. Ce qui est réel, c’est qu’il appartenait à une famille assez distinguée de la tribu des Koraïtes, la première à La Mecque. Né en 575, peu de jours après la mort de son père, il fut confié par sa mère, trop faible pour le nourrir, à la femme d’un berger nomade. Il perdit sa mère à six ans, n’ayant pour tout bien que cinq chameaux, quelques brebis et une esclave. Son grand-père, Abd’al-Muttalib, se chargea de lui, et, à sa mort, le confia à son oncle, Abou-Taleb, qui était très pauvre. Bientôt Mahomet dut, pour vivre, mener son troupeau au désert. Lui-même, par la suite, aimait à relever cette analogie avec Moïse et David. Taciturne, concentré, il se fit de bonne heure une solide réputation d’honnêteté rigide. On l’appelait Al-Amin, « celui en qui l’on peut se fier. » Une riche veuve, Khadija, lui confia la direction de quelques expéditions lucratives en destination de la Syrie, et c’est ainsi qu’il devint conducteur de chameaux. Il s’acquitta de cette mission avec tant de probité que Khadija, ravie, ne crut pas l’en trop récompenser en lui offrant de l’épouser. Elle avait quinze ans de plus que