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lui, elle aurait pu, en Orient, être sa mère. Cependant Mahomet, reconnaissant, demeura fidèle à l’affection profonde qu’elle lui avait inspirée, et jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant vingt-quatre ans, il ne lui donna point de compagne ; bien que la coutume du pays l’y autorisât pleinement. La vie de Mahomet, jusqu’à sa quarantième année, s’écoula paisiblement, sans incidens notables. Sa famille était de celles à qui la garde héréditaire de la Kaaba était confiée, et rien ne donne lieu de croire qu’il ait pendant toute cette période manifesté la moindre opposition au culte idolâtrique dont ce sanctuaire était le centre.

Ce qu’il faut noter toutefois, c’est que son tempérament, dès l’origine très nerveux, très impressionnable, le devint toujours plus avec les années. L’un de ses récens biographes, M. Sprenger, a déployé beaucoup de science médicale pour démontrer que Mahomet fut d’abord hystérique, puis cataleptique. Ce qui est certain, c’est qu’il était sujet à des accès du genre de ceux que les Grecs appelaient le « mal sacré, » et que les Juifs attribuaient à une possession démoniaque. La coutume d’observer le mois du Ramadan était déjà en vigueur chez les Arabes dévots, et il s’y conformait rigoureusement. Il se retirait alors dans la solitude, se cachant dans les cavernes du mont Hira, passant ses journées en méditations et en prières. Bientôt le goût de la retraite devint chez lui une passion, et c’est dans un de ces dialogues mystiques avec l’Esprit invisible qu’il cherchait au désert que la conscience d’une grande mission religieuse à accomplir s’empara de tout son être. Évidemment ce ne fut pas le résultat de réflexions prolongées ni de discussions dialectiques avec lui-même. Dans une heure d’extase, l’Esprit le saisit pour ne plus le quitter. Une grande vérité à proclamer, une grande réforme à effectuer, tels furent les deux élémens essentiels de la révélation dont il fut ébloui. La vérité, c’était l’unité divine ; la réforme, c’était la destruction radicale de toute idolâtrie. Quand il sortit de la caverne apocalyptique, il entendit partout, dans les rochers et les buissons du désert, des voix qui le saluaient envoyé de Dieu.

Observons ici que cet élément premier de la doctrine musulmane est, au point de vue juif et chrétien, parfaitement inattaquable. On peut sans doute reprocher au rêveur solitaire de s’être adjugé présomptueusement le titre d’envoyé divin ; mais ceux qui seraient tentés d’y voir une inspiration de Satan éprouveraient peut-être quelque embarras à expliquer pourquoi Satan se donna la peine de s’emparer d’un homme tout exprès pour répandre des vérités qu’il avait tout intérêt à cacher. L’Arabie était polythéiste et idolâtre, ce qui a toujours beaucoup plu à l’ange des ténèbres, et il aurait fait