dédaignait pas de s’acquitter lui-même d’humbles travaux domestiques, il allumait le feu, balayait le sol, réparait ses habits et ses chaussures. Il donnait beaucoup aux pauvres, et, quant à lui, il se contentait à l’ordinaire de dattes et de pain d’orge. Il ne buvait que de l’eau, et se permettait rarement le luxe d’ajouter à son frugal régime du miel ou du lait, que pourtant il aimait beaucoup. Un tel genre de vie, quand il aurait pu, s’il l’eût voulu, s’entourer de tout le bien-être connu de son temps et dans son pays, n’est certainement pas celui d’un ambitieux ou d’un voluptueux qui aurait spéculé sur la crédulité de ses dupes.
En résumé, quand même on ne saurait disculper Mahomet de tout fanatisme ni de toute présomption, malgré les taches que nous avons signalées dans sa vie, il nous faut reconnaître impartialement qu’il fut sincère et qu’au milieu du peuple arabe tel que nous l’avons décrit il rehaussa par son caractère personnel la valeur de la révélation dont il se crut le porteur ; mais il ne faut pas oublier que dans l’islamisme, plus qu’ailleurs, la doctrine doit être jugée en elle-même, indépendamment de celui qui l’a prêchée.
L’islamisme consiste essentiellement dans un monothéisme rigoureux, dans un ensemble de devoirs et de pratiques pieuses dont l’observation constitue le vrai musulman, et dans la croyance que l’Arabe Mahomet fut l’homme destiné par Dieu à révéler cette religion pure et définitive. Il y a donc, même à notre point de vue chrétien, quelque chose d’incomplet dans cette appréciation sommaire de Gibbon, qui, à propos de la confession fondamentale des musulmans : Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète, disait que l’islamisme se résumait dans une vérité éternelle jointe à une fiction nécessaire. Il oubliait le rituel que cette fiction rattache indissolublement à cette vérité. Dans la série des religions, l’islamisme occupe un niveau parallèle à peu de chose près à celui du judaïsme. Il est, comme celui-ci, une religion de la loi. Un Dieu unique et invisible, une morale élevée, mais mélangée d’observances arbitraires, un livre sacré que des scribes interprètent subtilement et qui est censé contenir la réponse à toute question possible, la prétention, non pas précisément de convertir, mais de dominer le monde entier, voilà les traits communs, et ils sont essentiels. Il faut noter toutefois cette différence importante, que le judaïsme repose sur l’idée d’une aristocratie de race. Le vrai juif doit être né fils d’Abraham ou bien avoir acquis la naturalisation dans la famille sainte ; l’islamisme est plus universaliste et ne stipule aucune primauté nationale de droit divin.