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Il est d’ailleurs indispensable de se bien rappeler que Mahomet ne s’adjugea pas l’honneur d’avoir révélé une religion nouvelle. Il prétendit simplement ressusciter la vieille foi patriarcale. Les pratiques sanctionnées par ses préceptes et son exemple, le Ramadan, le jeûne, les cinq prières quotidiennes, étaient en vigueur avant lui. Quelques-unes même, telles que les pèlerinages, furent de sa part plutôt une concession à des habitudes invétérées qu’une institution logiquement déduite de ses principes. La religion pure, celle que professait Abraham, a été altérée par l’ignorance et la corruption humaines ; Mahomet a reçu d’en haut l’ordre de la reconstituer, voilà son programme. L’islamisme originel n’aspire pas, comme l’Évangile, à innover. Nous pensons que Mahomet s’est trompé et qu’il a été plus novateur qu’il ne se l’imaginait, mais il importe de bien préciser l’idée qu’à son origine l’islamisme donne de lui-même, car cette idée influera beaucoup sur ses destinées comme sur le jugement définitif que nous porterons sur lui. Il n’y a rien dans ses enseignemens qui suggère l’idée d’un progrès, d’un développement du royaume de Dieu. Le nom lui-même de musulman indique bien le caractère éminemment passif du mahométisme. Il signifie le soumis, le résigné, le confiant en Dieu. Islam est un substantif dont la racine est la même que celle du participe muslam ou musulman. Ce sera par conséquent la religion de la foi soumise et résignée plutôt que de l’élan vers l’idéal. Nous avons donc à signaler ici une lacune, une imperfection religieuse, tout en reconnaissant qu’il y a là un des élémens principaux de toute religion.

Que faut-il penser du Koran ?

Les livres sacrés d’une religion n’acquièrent pas arbitrairement leur dignité. La critique peut découvrir de l’incohérence dans leur mode de rassemblement, des causes fortuites à la base de leur consécration canonique ; il n’en faut pas moins, pour qu’ils arrivent à un tel honneur, qu’ils expriment bien les idées, les tendances du temps où ils devinrent populaires, que les fidèles qui les ont lus les premiers s’y reconnaissent et s’y complaisent, que l’esprit qui les inspire soit homogène avec celui de la société religieuse qui les adopte comme livres modèles. Voilà pourquoi, en dehors de toute critique historique, le Koran et le Nouveau-Testament demeurent les documens-étendards, si je puis ainsi dire, des deux religions qu’ils représentent respectivement. Ils diffèrent beaucoup. Le Nouveau-Testament réunit plusieurs auteurs qui ne sont pas toujours d’accord entre eux, ni sur les faits, ni sur les doctrines ; il est plein de mouvement, de variété, de vie, et l’unité d’esprit fait seule le lien des formes diverses que le christianisme revêt dès les premiers