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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/153

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vieux tronc sémitique. La tradition patriarcale de l’islamisme se confond avec celle d’Israël, si ce n’est qu’Ismaël, le fils d’Agar, le père des Arabes, occupe un rang supérieur à celui d’Isaac, fils de Sara. Jésus est vénéré par les musulmans comme révélateur et prophète, n’ayant au-dessus de lui que Mahomet lui-même. Les dévots de l’islamisme ne prononcent pas son nom sans y ajouter la formule de bénédiction « sur lui soit la paix ! » Dans la grande mosquée de Médine, tout à côté du tombeau de Mahomet, un autre tombeau est préparé pour Jésus, dont les croyans attendent le retour, qui combattra l’Antéchrist et mourra victorieux, après avoir établi une paix parfaite sur la terre. Il arriva sans doute, il arrive toujours dans l’ardeur des controverses et des luttes qu’au lieu d’honorer le fondateur du christianisme, des musulmans le rendent solidaire de leurs préjugés haineux contre les chrétiens, mais ceci encore est l’accident, non la substance de la foi musulmane. Les sectateurs conséquens du prophète ne supportent pas qu’on blasphème le nom d’Issa. Il arriva sous Mahomet IV qu’un chrétien renégat, désireux de prouver la sincérité de sa conversion, se mit à maudire le Christ. Dénoncé au divan comme blasphémateur, il paya son impiété de sa vie.

Pourquoi donc Mahomet ne songea-t-il pas même un instant à se faire chrétien orthodoxe ou catholique ? Il y en a plusieurs raisons qui se résumeraient assez bien dans celle-ci qu’à ses yeux le christianisme de son temps manqua de prestige et d’attrait. Dans son entourage, le christianisme n’était connu que de nom. Ce fut seulement à ses voyages qu’il dut quelques notions un peu moins vagues de ce que pouvait être la religion de Jésus. Et sous quels traits apprit-il à la connaître ? Les beaux jours de l’église d’Orient étaient passés. Le monde grec s’endormait dans une léthargie qu’interrompaient seulement quelques soubresauts causés par des disputes sur les points les plus inextricables de la théologie. En fait d’évangiles, Mahomet ne semble avoir connu que ces évangiles apocryphes dits de l’Enfance, les Actes de Pilate, etc., rapsodies incohérentes que l’église officielle désavouait, mais qui devaient avoir conservé une certaine autorité dans les districts chrétiens limitrophes de l’Arabie. Dans tout le Koran, les commentateurs ne relèvent que trois passages permettant de supposer quelques notions des évangiles canoniques. Dans l’un d’eux, où il est question du Paraclet ou du consolateur qui doit venir, Mahomet crut trouver une prédiction de sa propre mission. Ailleurs, sur la foi peut-être de quelque tradition ou traité docète[1], il se refuse à croire que

  1. On se rappellera que le docétisme est le trait commun des doctrines gnostiques, toutes plus ou moins imbues du principe de l’impureté de la matière et inclinant par conséquent a reléguer dans le domaine de l’apparence, de l’illusion, le corps et la vie corporelle de Jésus-Christ.