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diminuer. Enfin la plus grande victoire morale que Mahomet ait remportée, c’est d’avoir obtenu que ses disciples renonçassent à l’usage des boissons fermentées. L’ivrognerie était avant lui très répandue en Arabie, et, malgré les subtilités que plus tard certains musulmans imaginèrent pour passer à côté de la lettre prohibitive, il est certain que, partout où l’islamisme s’est maintenu intact, rien n’est plus rare que les excès de boisson.

Il ne nous reste plus à envisager que le reproche le plus populaire qui soit fait depuis des siècles à la religion musulmane, nous voulons parler de la manière dont elle conçoit la vie future promise en récompense aux fidèles. Le paradis de Mahomet, avec ses houris aux yeux noirs, ses parfums, ses épices, ses tapis et ses sorbets, défraie depuis longtemps les critiques superficielles. Le Koran dépeint les joies comme les peines de la vie future sous des couleurs matérielles, et il n’en pouvait être autrement dans un système qui, comme l’orthodoxie juive et chrétienne, se représentait la vie d’outre-tombe comme déterminée par la résurrection du corps actuel. Même au point de vue d’une eschatologie moins grossière, il est bien difficile de parler de l’état futur sans recourir à des images empruntées au monde sensible. Les théologiens chrétiens ordinairement n’hésitent pas à appliquer une interprétation symbolique aux passages du Nouveau-Testament qui, pris à la lettre, incluraient des notions parfaitement matérielles du monde à venir. Nous n’avons pas le moindre droit d’interdire ce même genre d’explication aux docteurs musulmans. Les fontaines jaillissantes, les jardins pleins d’ombre, les rafraîchissemens délicieux sont des images naturelles à l’imagination d’un Oriental qui médite sur l’autre vie ; mais il n’est point question de houris transformant le paradis en un sérail éternel, tout en conservant non moins éternellement leur virginité immaculée. Les successeurs de Mahomet et des mollahs rêveurs ont pu broder sur le canevas du Koran les élucubrations de leur sensualité, comme certains docteurs de l’église sur les symboles évangéliques ; il serait très injuste d’en rendre Mahomet, l’islamisme et l’Évangile responsables.

On s’est souvent demandé quels avaient été précisément les rapports originels de l’islamisme avec les religions juive et chrétienne. L’idée que Mahomet avait très bien connu ces deux religions monothéistes et, par orgueil, les avait rejetées l’une et l’autre pour en fonder une troisième devant lui rapporter gloire et pouvoir n’est pas étrangère aux jugemens défavorables dont il a été si souvent l’objet. Quand le moyen âge en faisait un hérétique ou même un cardinal révolté contre son pape, c’est à cette manière de comprendre son rôle qu’au fond il se rattachait. Incontestablement Mahomet connut l’existence des deux religions sorties comme la sienne du