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n’est plus qu’un foyer depuis longtemps éteint où restent à peine quelques cendres mortes. Les Maures ont succombé en Espagne sous les coups de la force ; mais ont-ils fondé en Afrique, au Maroc, à Alger, à Tunis, quoi que ce soit qui ressemble à une civilisation sérieuse ? Le Koran, comme les Proverbes de l’Ancien-Testament, fait souvent l’éloge de la science ; mais de quelle science ? Les savans arabes ont été nos maîtres pendant toute une époque ; mais comme il y a longtemps ! Et, depuis des siècles, y a-t-il en pays musulman quelque chose qui soit digne du nom de science ? Le fait est qu’en règle ordinaire le musulman hausse les épaules devant nos démonstrations et nos découvertes. La façon dont il conçoit le monothéisme lui rend très difficile de s’ouvrir à la notion des lois naturelles. Son Dieu est toujours ex machina, intervenant arbitrairement dans le cours des choses, de sorte qu’il est impossible au musulman fidèle de concevoir des rapports constans et des connexions nécessaires. C’est pourtant là-dessus que repose toute science.

On me dira, je le sais bien, que le christianisme n’a pas élevé lui-même un très grand nombre de ses adhérens plus haut que la conception musulmane de la relation entre Dieu et le monde ; mais, impartiaux comme nous le sommes dans notre estime de l’islamisme, sachant très bien discerner la véritable doctrine musulmane des abus et des contradictions des musulmans, nous avons le droit de réclamer la même distinction en faveur du christianisme. Depuis que les deux religions existent côte à côte, il a toujours pu se faire que telle ou telle couche de la chrétienté fût inférieure à la couche musulmane correspondante. Il n’est pas sûr que les croisés ne fussent pas moralement et intellectuellement au-dessous des musulmans qu’ils allaient combattre. J’ignore entièrement si le Serbe ou le Monténégrin est en moyenne supérieur au Turc dont il coupe si prestement le nez et les oreilles quand il l’a tué dans un combat ; mais là n’est pas la vraie question. Je compare les deux religions à deux pyramides dont l’une est devenue incontestablement beaucoup plus haute que l’autre et grandit toujours, tandis que l’autre semble avoir complètement cessé de grandir, lors même qu’elle pourrait s’élargir encore par la base. L’islamisme paraît, comme la société chinoise, voué à une incurable impuissance en matière de progrès continu. On nous parle bien de mouvemens réformateurs qui s’agiteraient dans son sein, des wahabites surtout, qui, écrasés en Arabie, doivent avoir trouvé dans les Indes un nouveau champ de propagande et d’influence. Peut-être en effet ce curieux mouvement de retour à l’islamisme pur, débarrassé du ritualisme et des légendes que la tradition a consacrés, serait-il assez vigoureux pour lui ouvrir une ère nouvelle ; mais que penser d’une