Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« J’arrive enchanté de mon voyage. Tout s’agrandit et se calme autour de moi. La vue des choses antiques est comme celle de l’ami qu’on aime. Qu’est-ce qui peut la remplacer ? Mais ne crois pas que je sois changé pour Heidelberg ; il me semble que je désire encore plus ses eaux si fraîches, ses sentiers bien ombragés.

« Adieu, ma chère bien-aimée, jamais tu ne sauras quelle impression de bonheur je te dois au milieu de tous les mouvemens de ma vie ; elle ne se reposera que lorsqu’il n’y aura plus de séparation pour nous. Écris-moi bien vite à Charolles. »


Tel est le premier chant de ce qu’on peut appeler le poème de son cœur. Je ne sais si toutes les lettres d’Edgar Quinet à Mlle Minna More seront publiées quelque jour, celles qu’on nous donne ici comme le simple complément de sa correspondance avec sa mère forment déjà une symphonie exquise. Un jour, parlant en poète de sa soif d’aimer et d’être aimé, il ajoute sans crainte d’effaroucher l’âme candide, car il la sait aussi sérieuse que naïve, et il croit avec l’apôtre que tout est pur aux cœurs purs, omnia munda mundis : « Dans ma première jeunesse, je me rappelle que j’avais commencé par où beaucoup finissent, par une ardeur pour Dieu qui, je croyais, remplacerait toutes les autres. Ensuite j’ai rencontré des femmes qui m’ont troublé. L’une n’en a rien su ; l’autre, que tout séparait de moi, ne m’a fait que du mal. Et quand elle eut bien déchiré mon âme en lambeaux, elle s’en est affligée quelque temps. Après, pendant que j’emportais mon cœur saignant loin d’elle et que je ne songeais que dévoûment, héroïsme, désir de mourir, elle s’en allait dans les fêtes, dans les bals, et détruisait elle-même l’image qu’elle m’avait laissée. Voilà comment je suis arrivé en Allemagne, toujours plus altéré d’amour, mais ne sachant plus à quelle source puiser, car tout jusque-là m’avait été un poison. Oh ! qu’il soit à jamais béni, le jour où je te vis pour la première fois, et le moment où je me dis : Je voudrais passer ma vie avec elle ! Depuis ce temps, je le jure, j’ai respiré quelque chose du ciel. » Une autre fois, en lui écrivant du foyer maternel, de la rustique maison de Certines, qu’il arrange déjà dans sa pensée pour y recevoir la jeune femme, il termine sa lettre par ces mots charmans : « A Bourg, il y a une chose qui me plaît, c’est l’église de Brou. C’est un vœu d’amour. J’aurais dû certainement être baptisé là. Adieu ! je te fais un vœu, à toi, chère madone. » Relisez maintenant dans Allemagne et Italie les poétiques pages intitulées des Arts de la renaissance et de l’église de Brou, vous comprendrez le charme qui l’inspire et pourquoi il a vu dans ces ogives, dans ces arceaux, dans ces ciselures, dans ces marguerites de pierre, dans cette fleur merveilleuse