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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/184

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impressions se retrouvent toutes vives dans son Voyage en Grèce, C’est le 10 février 1829 qu’il s’était embarqué à Toulon sur la frégate la Cybèle ; le 5 juin de la même année, il adressait de Marseille à Mlle Minna More la lettre suivante, que je veux citer tout entière. On y voit les effusions de son amour à travers les rayons du ciel de l’Attique et les reflets sanglans de la barbarie musulmane. On y voit aussi la première annonce du livre qu’il porte en son cœur.


« Enfin, j’ai revu les côtes de la France, et peut-être te reverrai-je bientôt, ma bonne chère Minna. Depuis mon retour d’Athènes, j’ai continué sans repos mes courses sur terre et sur mer. J’avais vu tout ce qui m’attirait dans le Péloponèse ; les avant-postes Turcs me barraient le chemin de la Romélie. J’avais eu déjà assez de peine à sortir de leurs mains. J’étais las et attristé de tant de détresse ; mon devoir rempli et mes notes achevées, je pris le parti de venir me rafraîchir dans les Cyclades, où je trouvai tes lettres, auxquelles je dois un des momens les plus doux de ma vie. De là, je mis à la voile pour Malte sur un corsaire grée ; mais, le bâtiment étant resté au large, les Anglais refusèrent de me recevoir à cause du soupçon de peste, et en retournant à bord par un violent orage sur un canot sans voile, nous faillîmes nous noyer comme saint Paul.

« La tempête, qui dura huit jours, nous jeta tantôt sur la Sicile, tantôt sur les côtes de l’Afrique, en face de Tunis, où je finis par tomber malade avec quelques hommes de l’équipage ; mais déjà le souffle de la France m’a remis.

« Mon projet est d’aller passer quelque temps dans ma famille, où je rédigerai les deux volumes de notes que j’apporte avec moi, de là à Paris pour y arranger mes affaires, puis de tourner du côté de Heidelberg et d’arrêter ma barque vers le lieu où tu es. La désolation qui m’entourait me dégoûtait de la vie ; mais, quand je me croyais devenu indifférent à moi-même, je sentais que tu étais au fond de mon cœur, et c’était comme une fête pour moi. Combien de fois après avoir passé la journée à remuer des pierres au milieu des os d’hommes, à traverser des forêts brûlées jusqu’à la souche, sans trace d’âmes vivantes, à me pénétrer de tristesse et d’horreur, quand le soir venait et que l’obscurité me prenait dans quelque cabane, combien de fois le souvenir de nos douces promesses m’a reposé de la fatigue et de la misère du jour !

« Je ne peux te dire combien les nouvelles que tu m’as données de ta famille m’ont intéressé et touché ; je les ai reçues dans l’île de Syra. Garde la fraîcheur et la paix de ton âme et ne t’inquiète pas du reste. Tâche de bien comprendre ma langue, puisque je sais si mal la tienne.