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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/214

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lieu ni le moment de discuter les conclusions générales auxquelles l’auteur des Ouvriers européens a été conduit par ses longues études. Le plan de réforme sociale auquel s’attache le nom de M. Le Play, bien que solidement appuyé d’après lui sur la stricte observation des faits, soulève parmi les meilleurs esprits des divergences d’opinion considérables. En défendre ou en attaquer les principes exigerait donc une discussion approfondie, éclairée par des jugemens compétens, poursuivie avec l’ampleur nécessaire. Nous ne pouvions assumer une si lourde tâche, et nous avons voulu nous restreindre, pour envisager les développemens actuels de la méthode, au point de vue spécial où l’Académie des Sciences s’était placée pour en stimuler les premières applications. « Les recherches sont-elles originales ? portent-elles sur un objet important ? Les faits ont-ils été soigneusement observés ? sont-ils exposés avec méthode et surtout sont-ils rendus avec fidélité ? » voilà les seules considérations dont nous eussions à nous préoccuper. Si, comme nous voudrions l’avoir su prouver, la méthode d’investigation est rigoureuse, si l’emploi en est fait avec l’impartialité scientifique, les faits enregistrés par elle porteront eux-mêmes leurs conclusions logiques. Pour mieux faire apprécier cependant la valeur et l’intérêt des monographies de familles, il convient d’indiquer au moins quelques-uns des faits principaux que met en relief l’étude méthodique des ouvriers de l’Orient.

Il est, on peut le dire, une « patrie de la vertu, » c’est-à-dire un ensemble de conditions naturelles qui rendent le devoir plus facile à remplir, tandis qu’ailleurs le genre de vie augmente au contraire les difficultés de la pratique du bien et exige de l’homme un degré de vertu plus élevé, partant plus rare. Pour M. Le Play, cette patrie de la vertu est la grande steppe, vaste région de plaines herbeuses qui forme la Russie méridionale et se prolonge au loin à travers l’Asie. Dénué d’arbres, coupé de cours d’eau peu nombreux et toujours encaissés, exposé sans défense aux agens météorologiques, ce pays des herbes est difficilement habitable pendant les sécheresses de l’été ou les froids de l’hiver, si ce n’est dans quelques districts abrités au pied des collines ; mais au printemps, herbes et fleurs y croissent en abondance : les chevaux et les bœufs, les chameaux et les tentes disparaissent ensevelis dans cet océan de verdure qui frissonne et ondule au caprice du vent. De temps immémorial c’est la patrie des nomades ; la vie des patriarches s’y perpétue avec une vraie majesté biblique et une sereine élévation morale. Ce qu’avait indiqué l’étude de plusieurs familles sur le versant sibérien de l’Oural a été constaté aussi par les observateurs les plus indépendans et les plus compétens, par le père Huc, missionnaire en Mongolie, comme par le général Vlangaly,