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LA
CRISE DU 16 MAI
ET
LES JUGEMENS DE L'EUROPE

Un homme d’état se plaignait jadis qu’il est bien difficile de déterminer exactement la part que nous devons faire dans la conduite de notre vie à l’opinion des autres ; il affirmait que c’est un point délicat et embarrassant. — « Dans ma jeunesse, disait-il, je ne m’occupais nullement de ce que mon prochain pouvait penser de moi, et je m’en suis mal trouvé ; plus tard je me suis beaucoup soucié du qu’en dira-t-on, et je ne m’en suis pas mieux trouvé. J’en ai conclu qu’il faut compter avec l’opinion, sans se laisser asservir par elle. La braver est le fait d’un imprudent, et la mépriser le fait d’un sot. J’ai pris le parti de n’en faire qu’à ma tête, en m’appliquant toujours à avoir les apparences pour moi ; on ne saurait attacher trop d’importance aux effets d’optique. » — Il en est des nations à cet égard comme des particuliers ; elles auraient grand tort de prendre pour règle de leur politique l’opinion de leurs voisins, elles auraient tort également de ne pas se soucier de ce que leurs voisins peuvent penser d’elles et de négliger les effets d’optique. La France est maîtresse chez elle comme le charbonnier dans sa maison, et, en réglant ses affaires intérieures, elle ne doit consulter que ses propres intérêts, dont elle est le meilleur juge. Elle doit se donner le gouvernement qui offre le plus de garanties à son repos et à sa sécurité, et non celui que peuvent lui souhaiter les Italiens, les Allemands ou les Anglais ; mais elle ne doit pas se condamner à l’isolement ; plus que jamais, elle a besoin de trouver au dehors des sympathies et des points d’appui, et elle n’ignore pas que les institutions d’un peuple ne sont pas