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excellentes qu’elles puissent être, ce sont en quelque sorte des raisons domestiques, que les étrangers ont peine à comprendre. La vie est pleine de cas embarrassans, et dans certaines conjonctures les hommes les plus honnêtes du monde se voient ou se croient forcés de commettre certains actes qui ne blessent pas leur conscience, mais qui paraissent un peu louches et demandent explication. On les explique une fois, deux fois ; les gens à qui vous parlez ont l’air de vous comprendre, après réflexion, ils ne comprennent plus, il faut s’expliquer de nouveau, et c’est toujours à recommencer. Ceux qui ont approuvé ou conseillé l’acte du 16 mai ne sont pas en peine de le justifier. Ils disent aux libéraux d’Europe : — vous voyez les choses de trop loin, et vous portez de faux jugemens sur notre situation ; voilà pourquoi vous nous condamnez. Si vous étiez sur les lieux, vous comprendriez que l’acte du 16 mai était une mesure conservatrice commandée par les circonstances. Ce n’est pas nous qui avons provoqué la crise, la France était travaillée par une maladie sourde, d’autant plus dangereuse qu’elle était latente, et depuis longtemps le jeu régulier de la constitution était faussé par les manœuvres des partis. Les ministères libéraux qu’avait appelés auprès de lui le président de la république ne disposaient pas réellement de la majorité de la chambre ; cette majorité était sous la coupe d’un éloquent tribun, qui formait dans l’état un quatrième pouvoir non prévu par la constitution ; faiseur et défaiseur de cabinets, ce tribun était le Warwick de la république française. Les ministres étaient dans sa main, ils devaient compter avec ses prétentions, subir ses exigences, acheter son appui par leurs concessions et par leur infatigable docilité. Il en résultait que le maréchal était un prisonnier ; le 16 mai, il s’est affranchi, il a reconquis sa liberté par une décision un peu brusque, mais légale, dont le pays sera juge.

L’inconvénient de ces explications, si spécieuses ou si plausibles qu’elles puissent être, c’est qu’elles reposent sur des conjectures et que le gros du genre humain ne comprend que les faits. Elles ont été comprises à Versailles, puisque 150 sénateurs les ont approuvées ; à Pontoise on ne les a plus comprises qu’à moitié, et au-delà de la frontière on ne les comprend plus du tout. — Peut-être avez-vous raison, ont répondu les libéraux d’Europe aux ministres du 17 mai ; mais vous faites un procès de tendance à la chambre des députés, et nous savons pourtant qu’elle a repoussé l’amnistie et qu’elle n’a pas même mis en délibération la réforme de l’impôt. Sans doute elle a commis des peccadilles, mais le crime ne se présume pas. Quel projet de loi révolutionnaire a-t-elle voté ? Pour quel plan de désorganisation sociale a-t-elle réclamé la signature du maréchal ? Et dans laquelle doses séances le ministère de M. Jules Simon s’est-il trouvé en minorité ? tout cela, dites-vous, devait arriver un jour ? pourquoi avez-vous devancé l’événement ? —