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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/227

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d’opportunité. Ils ont assisté sans déplaisir, sans inquiétude et sans effroi à l’établissement de la république en France ; ils ont compris que dans un pays que se disputent trois partis dynastiques le régime républicain est le seul possible et qu’il faut savoir faire de nécessité vertu. Ils ont constaté d’ailleurs que ce régime a procuré à la France six années de paix et de tranquillité. — Prenez-y garde, répondent ceux qui s’appellent les conservateurs français, l’ordre qui règne en France n’est qu’un ordre apparent et trompeur, à la faveur duquel les radicaux pratiquent en sûreté leurs redoutables menées et s’acheminent à la conquête du pouvoir. — Les hommes d’état dont nous parlons ont peu de goût pour le radicalisme ; mais ils ne peuvent s’empêcher d’observer que, parmi les réformes subversives désirées et prônées par les radicaux, il en est plusieurs que telle monarchie de l’Europe a depuis longtemps adoptées, sans avoir pensé créer chez elle « un péril social. » La chambre des députés a eu la sagesse de ne voter ni l’abolition de la peine de mort, ni le rétablissement du divorce, ni la liberté de réunion et d’association, ni l’impôt sur le revenu, ni la réduction du service militaire à trois ans, ni l’enseignement universel obligatoire, ni la séparation de l’église et de l’état ; mais quand elle aurait voté tout cela, elle eût pu le faire sans scandaliser les deux mondes, puisqu’il n’est pas un seul de ces articles du programme radical qui n’ait force de loi dans quelque pays monarchique ou dans la république étoilée. Déclarer et démontrer que telle réforme est intempestive, inopportune ou mal appropriée au tempérament de la démocratie française, c’est tenir le langage d’un homme d’état ; mais affirmer que toutes les institutions françaises sont parfaites et qu’il n’est pas permis de les modifier sans faire œuvre de mauvais citoyen ou de malfaiteur intellectuel, c’est donner à croire qu’on obéit à certaines préoccupations étrangères à la politique ou qu’on a sacrifié à quelque tyrannie occulte la liberté de son esprit. Assurément il y a des fous et des scélérats qui font un usage détestable de certaines idées pour assouvir leurs ambitions et leurs convoitises ; mais, à proprement parler, il n’y a pas d’idées criminelles, et celles qui sont inopportunes, ou erronées, ou dangereuses, ce n’est pas en les proscrivant qu’on s’en débarrasse ; il faut se résigner à les discuter, nous vivons dans un temps où la discussion a remplacé l’anathème. Ah ! certes, discuter n’est pas toujours un métier agréable, et il est quelquefois dur pour un ministre d’avoir à défendre ses principes contre certains orateurs de bas étage, qu’un publiciste appelait « la fine fleur de la bohème politique, composée des gens à trente-six principes et à quarante misères. » Mais qu’est-ce qu’un ministre qui ne consent pas à s’ennuyer ? Il y a deux espèces d’hommes d’état : les uns prennent leur parti des libertés gênantes et des désagrémens qu’elles leur procurent ; les autres s’occupent avant tout de se rendre la vie commode, et