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cherché en vain parmi nos puissances alliées, s’est-il écrié, laquelle mériterait cette suprême offense que l’on pût penser d’elle qu’elle voulut nous déclarer la guerre. » Voltaire prétendait que nous avons un bon et un mauvais œil, que l’un nous sert à voir les biens et l’autre les maux de la vie, mais que bien des gens ont la fâcheuse habitude de fermer le premier. Voilà un reproche qu’on ne peut faire à M. Brunet. Si son mauvais œil lui fait voir en France « un précipice béant, » il emploie son bon œil à regarder ce qui se passe « chez nos puissances alliées, » et par delà la frontière il voit tout en beau. Nous pensons comme lui que le nouveau ministère a les dispositions les plus pacifiques, que son patriotisme condamne énergiquement toute entreprise qui pourrait compromettre la sécurité de la France. Nous croyons aussi que les malveillans du dehors, qui attribuent à la politique du 17 mai des arrière-pensées dangereuses pour la paix de l’Europe, sont moins inquiets qu’ils n’en ont l’air ; mais nous n’ignorons pas que de toutes les figures de rhétorique la répétition est la plus puissante, et nous savons ce que répètent tous les jours certains journaux. — La France, disent-ils, en est revenue au régime du gouvernement personnel ; les déclarations faites au sénat par les nouveaux ministres nous ont appris que désormais le maréchal de Mac-Mahon prendrait pour règle de sa conduite ce qu’il croit devoir « à sa conscience, à sa dignité, à la gloire de son nom, » et à la volonté du pays, qu’il se réserve le droit d’interpréter. Le régime plébiscitaire est le régime des entreprises et des surprises. Deux mois après le plébiscite du 8 mai 1870, le gouvernement impérial déclarait la guerre à la Prusse. Si M. de Mac-Mahon réussit à obtenir des électeurs la réponse qu’il désire, il se sentira si fort qu’ayant réussi dans son aventure au dedans, l’envie lui viendra d’en essayer une au dehors. L’église compte sur lui, Elle a eu la main dans la crise du 16 mai, elle a travaillé à nouer la coalition, c’est elle qui a lié les épées ; sa joie triomphante, qu’elle n’a pu contenir, a trahi les secrets de son âme et prouvé jusqu’à l’évidence sa complicité. Hic fecit qui gaudet.

Les amis de la France ne prennent point au sérieux les appréhensions intéressées de ses ennemis ; celles qu’ils éprouvent sont fort différentes. Ils savent que les circonstances sont bien changées, que la situation de M. le maréchal de Mac-Mahon en 1877 n’a rien de commun avec la situation de l’empereur Napoléon III en 1870, et il ne peut leur venir à l’esprit qu’un triomphe électoral ait pour effet de fortifier le gouvernement du 17 mai jusqu’à le rendre capable d’une imprudence. En admettant même qu’il couronne par la victoire la plus éclatante la campagne qu’il vient d’ouvrir, on peut craindre qu’il ne soit au lendemain de cette victoire le gouvernement le plus faible qu’ait eu la France de puis ses malheurs, car rien n’est plus faible qu’un gouvernement fondé sur le terrain mouvant d’une coalition. Le 16 mai, une main loyale, mais