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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/243

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que les Russes, ils ont encore des forces suffisantes, ils sont chez eux, ils ont de puissantes positions, et de leur camp central de Schumla ils peuvent se porter sur les points menacés. De toute façon, il faut les battre ayant de s’avancer. Les Russes se trouvent dans des conditions d’autant plus difficiles qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, sur leurs propres ressources. Déjà, malgré une alliance apparente, ils n’ont que des rapports peu cordiaux avec l’armée roumaine, à qui ils n’ont peut-être pas fait la position qu’ambitionnait le cabinet de Bucharest. Ils n’ont guère rien à attendre de la diversion des Monténégrins, qui paraissent en ce moment plier sous l’effort des Turcs et qui auraient plutôt eux-mêmes besoin de secours. Quant à la Serbie, elle est réduite à un rôle négatif, et le voyage que le prince Milan vient de faire au camp de l’empereur Alexandre à Ploiesti n’a point eu visiblement des résultats encourageans. La Russie a le très légitime orgueil de n’avoir besoin de personne, surtout de la Serbie ou du prince de Roumanie ; elle espère sans doute frapper quelque grand coup qui la rendrait maîtresse de la Bulgarie, qui lui permettrait peut-être d’offrir des conditions de paix conformes à ses vœux. Qu’en sera-t-il ? C’est encore l’inconnu dans une situation militaire et diplomatique qui a grand besoin de s’éclaircir, qui provoque nécessairement, incessamment, l’attention des puissances les plus intéressées, de l’Angleterre aussi bien que de l’Autriche.

Quelles sont en effet les dispositions réelles de l’Angleterre aujourd’hui, après les communications que le comte de Schouvalof a été tout récemment chargé de porter à Londres de la part du cabinet de Saint-Pétersbourg ? tantôt l’Angleterre a l’air de se montrer à demi satisfaite des assurances plus ou moins positives que lui donne la Russie sur les points qui intéressent particulièrement sa politique, l’isthme de Suez, l’indépendance de Constantinople, le droit de l’Europe dans le règlement des questions maritimes et territoriales en Orient ; tantôt elle déguise à peine sa mauvaise humeur, elle a tout l’air de songer à aller elle-même sauvegarder ses intérêts, elle fait mine de demander au parlement des subsides pour se tenir prête à tout événement. Qu’il y ait toujours des projets, des essais d’entente entre l’Angleterre, et la Russie, c’est possible ; que l’Angleterre soit absolument rassurée sur les affaires d’Orient, qu’il y ait entre les deux gouvernemens une confiance complète, c’est plus douteux : on pourrait plutôt croire à une défiance persistante, à une certaine raideur de rapports, au moins à en juger par le traitement assez inattendu qu’un colonel anglais vient d’éprouver au camp russe. Quant à l’Autriche, c’est assurément la puissance qui se trouve dans la position la plus délicate, par la raison bien simple qu’il y a visiblement aujourd’hui et depuis longtemps à Vienne des courans divers.

On ne peut guère s’y tromper : au fond il y a dans l’entourage de