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murailles de Servius dont je viens de parler. En les examinant de plus près qu’on n’avait fait jusqu’ici, un savant archéologue, le père Bruzza, s’aperçut que des lettres étaient inscrites sur ces grands blocs de pierre : c’étaient des signes qui marquaient tantôt la carrière d’où on les avait extraits, tantôt l’emplacement auquel ils étaient destinés. Comme ils venaient quelquefois d’assez loin, il fallait bien qu’on fît connaître à ceux qui les transportaient où ils devaient être placés, afin que toute erreur fût impossible. Ces caractères sont quelquefois gravés assez légèrement, et alors il est très difficile de les lire ; mais d’ordinaire l’ouvrier a tracé un sillon profond qui a résisté au temps et qui est visible aujourd’hui comme le premier jour.

N’est-ce pas une découverte bien inattendue que de retrouver des lettres sur des murailles qui ont été bâties du temps des rois ? Les inscriptions du tombeau des Scipions passaient jusqu’ici pour le plus ancien monument de la langue latine ; en voici qui sont de trois ou quatre siècles plus vieilles, et qui remontent aux origines même de Rome. On sera désormais, je l’espère, moins tenté de croire que les historiens se moquent de nous quand ils nous disent qu’il restait des monumens écrits de ces époques reculées. On riait de Suétone parce qu’il raconte sérieusement qu’à l’incendie du Capitole sous Vitellius il périt trois mille tables d’airain qui contenaient des lois, des sénatus-consultes, des plébiscites, depuis la naissance de la ville, pœne ab exordio urbis. On ne voulait pas admettre qu’il fût possible qu’il existât encore du temps d’Auguste une copie authentique du traité conclu par Tarquin avec les habitans de Gabies, quoique Horace prétende que les antiquaires en faisaient leurs délices. Depuis la découverte du père Bruzza, tous ces récits n’ont plus rien d’invraisemblable. Denys d’Halicarnasse, qui était un curieux, et qui avait lu ces vieux documens, nous dit que les lettres y étaient semblables au plus ancien alphabet des Grecs. C’est bien aussi aux lettres grecques que ressemblent celles qui ont été trouvées sur la muraille de Servius, et par là se trouve confirmée cette opinion de Kirchhoff et de Mommsen que l’écriture est venue aux Romains de leurs rapports avec les colonies grecques de l’Italie méridionale, et qu’ils l’ont connue de très bonne heure[1]. Non-seulement ils la connaissaient et la pratiquaient vers la fin de l’époque des rois, mais elle leur était alors tout à fait familière, et ils l’employaient aux usages ordinaires de la vie. Elle n’était pas le privilège de quelques classes, des nobles ou des prêtres : les

  1. M. François Lenormant, dans l’article Alphabet du Dictionnaire des antiquités grecques et latines, publié par MM. Daremberg et Saglio, à présenté un résumé très exact et fort intéressant de toutes les découvertes de la science moderne au sujet de l’histoire des alphabets grecs et latins.