Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éleva plus tard le temple de Rome, ils placèrent la statue du prince, un colosse de 120 pieds, dont on fit ensuite l’image du soleil. Du côté de l’Esquilin, où la terre est si fertile, s’étendaient de vastes prairies, des champs, des vignes, des bois, dans lesquels erraient des bêtes sauvages. Au centre de la plaine, on avait creusé un étang aussi vaste qu’une mer, dit Suétone, et sur les bords duquel s’élevaient de pittoresques édifices. Quant au palais proprement dit, tout y resplendissait d’or et de pierres rares incrustées dans le mur. On y voyait d’immenses portiques, des salles a manger avec des tables d’ivoire, et des jets d’eau percés de trous étroits qui répandaient sur les convives une pluie impalpable de parfums et d’essences précieuses, des bains où l’on trouvait en abondance l’eau de la mer dans des piscines et toute sorte d’eaux sulfureuses. Quand Néron prit possession de sa nouvelle demeure, il daigna remercier ses architectes, qui l’avaient servi à son gré, et on l’entendit dire qu’enfin il était logé.


III

La dynastie flavienne, qui remplaça les césars, était tenue de se conduire autrement qu’eux. Comme son illustration était récente et qu’elle n’avait pas cette autorité que donnent d’anciens souvenirs, il lui fallait s’appuyer sur l’opinion publique, écouter ses plaintes et en tenir grand compte. De toutes les entreprises insensées de Néron, la construction de la Maison-d’Or était peut-être celle qui avait le plus irrité les honnêtes gens : elle rappelait l’une des plus terribles calamités de ce règne, l’incendie de Rome, qu’on accusait Néron d’avoir allumé lui-même pour se procurer plus aisément les terrains qu’il convoitait. Le feu à peine éteint, il s’était empressé, dit un historien, de se servir des ruines de sa patrie pour se bâtir un palais magnifique. On était indigné de voir ces champs, ces jardins, ces prairies, qui remplaçaient tant de maisons pauvres, et, au milieu d’une ville qui regorgeait de monde, tout cet espace immense rempli par une seule habitation. « Rome, disait-on dans des vers malins, ne sera bientôt plus qu’un palais. Préparez-vous encore, citoyens, à émigrer à Véies, à moins que Véies ne soit comprise elle-même dans la maison de César. » De plus ces magnificences coûtaient très cher, les architectes de l’empereur ne cal, culaient pas, et le trésor était toujours vide ; pour le remplir, on avait recours, selon l’usage, aux confiscations et aux assassinats, en sorte que la Maison-d’Or semblait rappeler tous les crimes qu’elle avait coûtés. Non-seulement les nouveaux empereurs se gardèrent bien de l’achever, mais ils la détruisirent. Les vastes terrains qu’elle occupait furent en partie restitués au public ; on n’en garda que ce