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Retz (à qui elle avait à reprocher l’emprisonnement de son père), la duchesse de Nemours, est forcée d’avouer que « son esprit est assez pénétrant et d’une étendue assez vaste ; » mais elle ajoute, ce qui est un point de vue assez juste : « qu’il ne pouvait trouver que dans les aventures extraordinaires de quoi remplir ses idées vastes et satisfaire toute l’étendue de son imagination. » Enfin elle dit, malicieusement « qu’il ne trompait jamais que dans les occasions qui pouvaient lui être d’une grande utilité. » C’était un point de caractère commun entre lui et Richelieu, duquel Retz lui-même nous a dit « qu’il allait au bien ou par inclination, ou par bon sens, toutes les fois que son intérêt ne le portait point au mal, qu’il connaissait parfaitement quand il le faisait. »

On sait avec quels accens émus Mme de Sévigné apprit à Bussy-Rabutin la mort de son vieil ami : « Plaignez-moi, mon cousin, d’avoir perdu le cardinal de Retz. Vous savez combien il était aimable et digne de l’estime de tous ceux qui le connaissaient. J’étais son amie depuis trente ans et je n’avais reçu que des marques tendres de son amitié. Elle m’était également honorable et délicieuse. Il était d’un commerce aisé plus que personne du monde. » N’oublions pas enfin que Retz était l’ami des hommes les plus respectables de son temps, entre autres de l’abbé de Rancé, de Vialart, l’évêque de Châlons, et des plus grands solitaires de Port-Royal, des Nicole et des Antoine Arnauld. Grouper de tels témoignages nous a paru indispensable pour donner plus de vérité au portrait, pour mettre plus en évidence les oppositions et les contrastes de cette physionomie si profondément originale, la plus étrange qui fut jamais. Ne soyons pas plus sévères que les contemporains de Retz et sachons voir les choses au point de vue de son siècle. N’est-il pas naturel que tous ceux qui avaient lutté contre Mazarin, que ces âmes intrépides et fières qui n’avaient supporté le joug qu’en frémissant, aient nourri une constante sympathie pour le chef de la fronde proscrit et persécuté, qu’elles aient eu pour lui une indulgence poussée jusqu’à la faiblesse ? Nous sommes si naturellement enclins à couvrir les fautes de ceux qui ont combattu et souffert avec nous pour la même cause ! Les Mémoires de Retz ne portent-ils pas eux-mêmes témoignage de ce qu’il y a de juste et de vrai dans plusieurs des jugemens que nous venons de citer ? Rappelons-nous avec quelle force il s’élève contre les tristes conclusions de l’auteur des Maximes, contre sa morale égoïste. C’est que Retz a l’âme plus haute que La Rochefoucauld et qu’il n’admet pas comme lui que l’intérêt soit le seul mobile de nos actions. Si trop souvent il met en pratique la morale de La Rochefoucauld, il reconnaît du moins, c’est une justice à lui rendre, qu’il n’est pas vrai d’en faire une