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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/329

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application générale, que toutes les actions de l’homme ne sont pas entachées d’égoïsme, qu’elles s’inspirent parfois de sentimens plus nobles et plus élevés. Personne dans le vice ne conserva plus de respect que Retz pour la vertu. Voyez comme il s’incline avec vénération devant les plus respectables figures de son siècle, devant les Vincent de Paul et les Mathieu Molé ! Ce politique si pervers, si corrompu et si corrupteur, a conservé au fond de son âme une notion très nette et très vive du bien et du mal ; il en saisit, il en peint toutes les nuances avec le coup d’œil du plus exercé des moralistes. En proie à d’irrésistibles passions qui le poussent même jusqu’au crime, comme un Italien du temps de Machiavel, il est incapable d’une action basse et honteuse. À défaut de vertu, il a de l’honneur, un sentiment très haut de sa dignité de gentilhomme, un courage poussé jusqu’à la témérité. « Il n’est pas moins vaillant que M. le prince, » nous dit Tallemant des Réaux, qui ne se laisse pas facilement duper, et certes Condé en savait quelque chose, lui qui fut un jour obligé de céder le pavé de Paris à l’intrépide coadjuteur. Retz aime ce qui est héroïque et grand, et ce n’est pas en vain qu’il appartient à la génération de Richelieu, de Bossuet, de Condé et du grand Corneille.

C’est dans la haute et mâle société où il a vécu depuis son enfance, c’est à l’hôtel de Rambouillet, c’est parmi les hommes de fer qui, au péril de leur vie, ont conspiré et combattu sans paix ni trêve contre Richelieu, qu’il s’est pénétré des maximes de l’héroïsme chevaleresque dont il se fait gloire. « C’est un esprit romanesque, toujours en quête d’aventures extraordinaires, » dit la duchesse de Nemours. Cette passion, il la partage avec nombre de seigneurs et de dames de son époque, grands lecteurs de romans, comme on sait, aimant par-dessus tout la galanterie, la renommée et la gloire. C’est la passion dominante du prince de Condé, de Mme de Longueville, du duc de Guise et de tant d’autres ; elle gagne même, à un certain moment, La Rochefoucauld, le plus froid des hommes, ainsi qu’il l’avoue dans ses Mémoires. Cette direction, cette tendance d’esprit, maintient Retz à une certaine hauteur et l’empêche de tomber trop bas. Il ne faut pas demander à ces héros et à ces demi-dieux de pratiquer la morale vulgaire ; ils se croient trop au-dessus des faibles mortels pour se soumettre à leurs lois et à leurs conventions sociales ; pour eux, l’indignité des moyens disparaît devant la grandeur du but, les fautes et les crimes sont éclipsés par l’éclat de la naissance et par la pompe du triomphe. L’enivrement de leurs passions sans frein les entraîne aux derniers excès, et alors malheur à qui leur résiste. Souvenez-vous des massacres et de l’incendie de l’Hôtel de Ville froidement et