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deux divisions de troupes. » Le mélange de bizarrerie tout anglaise et de poésie non moins franchement italienne dont cette description donne l’idée nous semble bien exprimer la nature même du talent de Ouida. On n’a pas de peine à croire ce qu’elle affirme, que son roman de Signa fut écrit en quelques matinées de soleil, l’été, au grand air et au chant des oiseaux, tandis que les orangers et les magnolias mêlaient leurs parfums, et il est clair aussi qu’elle ne nous trompe pas en ajoutant qu’elle travaille rapidement, sans peine, que, comme Balzac, elle ne revoit jamais ce qu’elle écrit, sauf sur l’épreuve imprimée, mais que, contrairement à l’habitude de Balzac, elle ne ruine pas ses éditeurs en corrigeant et refaisant la moitié de son livre. Signa recèle toute la grâce, toute la chaude et vivace beauté des horizons qui l’ont vu naître. Le charme qui vous saisit dès les premières lignes ne résiste pas cependant à la diffusion, aux longueurs, aux redites qui bientôt Viennent annuler l’intérêt des figures et des paysages, tracés sur le vif avec un rare bonheur pour être jetés ensuite dans une action faiblement conçue et négligemment menée.


I

Qu’est-ce que Signa ? C’est le but favori des promenades de l’auteur, une ville ruinée de l’antique Étrurie, jadis plantée comme un étendard de guerre, sous le nom de Signome, à l’ombre des montagnes, et dont la population, misérable aujourd’hui, tresse de la paille pour toute industrie, dont les murs se sont écroulés, dont les forteresses sont devenues des métairies. Dans sa déchéance toutefois, elle conserve un aspect grandiose et pittoresque qui fait penser à quelque bouclier brisé sur lequel ont poussé les ronces et où les alouettes ont caché leur nid. Mais Signa n’est pas seulement le nom d’une ville morte de la Toscane, c’est aussi le nom d’un jeune homme, d’un artiste de génie, dont la poétique enfance remplit le premier et le meilleur des trois volumes qui composent le roman. Signa ne sait d’où il vient ; il fut trouvé, un jour d’inondation, dans un champ menacé par les eaux, sur le sein glacé d’une pauvre femme, il fut trouvé par Bruno et Lippo Marcillo, deux habitans de l’endroit, deux frères qui s’en allaient mettre leurs troupeaux en sûreté. C’était la nuit. A la lueur de la lanterne qu’ils portaient, ils virent que quelque chose était tombé de la route escarpée qui surplombait le champ ; ce quelque chose prit bientôt à leurs yeux la forme d’une femme. Elle avait été tuée sans doute dans la chute, sa tête ayant heurté une grosse pierre. Le visage tourné vers le ciel, les membres raidis, elle serrait étroitement de