Bébée, — mais on ne va pas jusqu’à dire qu’ils soient partie ensemble ; c’est pourtant la vérité. Cette triste histoire est bien connue. Transportée des champs de la Toscane dans une mansarde de Paris, la Pippa n’est plus elle-même ; pendant trois mois on l’adore, cent toiles différentes reproduisent sa beauté agreste, puis la fleur d’amour s’effeuille, et Pippa est abandonnée. Comme l’héroïne des Deux petits Sabots, elle s’acharne aux pas de son infidèle. Elle le poursuit partout sans réussir à le rejoindre ; elle sait qu’il est à Rome, c’est à Rome qu’elle ira, et elle marche…, elle marche jusqu’au jour où le pied lui glisse et où elle tombe à deux pas de son village natal pour être emportée comme une épave par la rivière débordée. A partir de ce point, la vieille légende de Signa, la ville, et la touchante histoire de Signa, l’enfant, s’entremêlent avec un art et une grâce inexprimables sous la plume de Ouida. Seule George Sand a su peindre les premières années de ses héros avec cette émotion, cette vérité, cette tendresse. Ils semblent éclos sous le pinceau de Raphaël tous ces marmots, voisins et camarades, qui se roulent, qui jouent à demi nus sur les antiques pierres ensoleillées que foula jadis le pied des demi-dieux. Signa grandit, poétique et charmant entre tous comme le divin bambino que les madones de son pays présentent à notre adoration. En esquissant la figure du petit compatriote de Rubens, Nello, dont Signa est proche parent, Ouida avait montré déjà comme elle savait peindre les enfans prédestinés. Ce petit misérable, que l’acariâtre épouse de Lippo roue de coups et qui sert de souffre-douleur aux autres garçons de la maison, est un être d’élite ; le génie a marqué son front du sceau contre lequel les difficultés et les rigueurs de la vie ne peuvent rien. Ces gens qui le maltraitent, Lippo, avide, hypocrite et sournois, Nita, sa femme, brutale et agressive, ont néanmoins le respect de sa figure d’ange ; les jours de fête, ils le parent de la robe blanche dont les Memmi revêtaient leurs modèles, et ils savent que pour l’amour de ces grands yeux tendres et profonds, de cette petite bouche pareille à un bouton de grenade, entr’ouverte sur les Ave qu’il chante d’une voix argentine, tous les passans lui prodigueront des friandises qu’il rapportera sans doute à la maison. Signa chantera bientôt dans l’église de la Miséricorde. Son goût naturel pour la musique est dirigé par un musicien errant, Luigi Dini, qui, après avoir couru les théâtres de petites villes, est revenu exercer dans le pays qui l’a vu naître les doubles fonctions d’organiste et de sacristain ; mais les plus beaux jours pour le petit Signa sont ceux où il court pieds nus, dans la poussière, chez son ami Bruno, à qui, par un instinct de bonté touchante, il n’ose dire qu’on le bat, car il sait que le poing de l’athlète le vengerait trop cruellement. Bruno
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