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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/41

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s’appelait Deville, avait été autrefois attaché aux agences de course, et pendant le siège avait appartenu aux ambulances du XIIe arrondissement ; il était laborieux, probe, moral et sans fierté, car il ne dédaignait pas d’inviter parfois un surveillant à boire un « verre de vin » avec lui ; il eut du zèle, de l’humanité et beaucoup de bienveillance pendant qu’il exerça les fonctions dont il ignorait le mécanisme. De toutes les prisons de Paris, la Conciergerie est celle qui fut le mieux administrée pendant la commune ; elle le dut à son excellent personnel et aux très louables efforts de son directeur anormal.

Quarante et un détenus s’y trouvaient enfermés au 18 mars ; ils appartenaient tous à la justice, qui les gardait sous sa main en vertu de mandats légaux et de procédure régulière ; mais l’insurrection se souciait fort peu du respect que la loi inspire à tout cœur honnête, et volontiers, comme disait Raoul Rigault, elle « simplifiait les formalités. » Si elle fit arrêter et incarcérer un grand nombre d’honnêtes gens qui ne pouvaient, sans déchoir vis-à-vis d’eux-mêmes, s’associer à des actes d’aberration, elle n’hésita jamais à rejeter au milieu de la population les coupables auxquels la justice avait appliqué ou réservé un châtiment. Cet abandon de tout intérêt pour la sécurité sociale apparaît dès les premiers jours, et le comité central s’empresse de donner un exemple pernicieux qui ne sera pas perdu. Le 20 mars, un de ses délégués se présenta, muni de pleins pouvoirs, aux deux prisons militaires de la rue du Cherche-Midi et donna ordre de mettre tous les détenus en liberté. On lui fit observer qu’il y avait là, non-seulement des hommes punis pour des fautes de discipline, mais aussi des déserteurs, des individus accusés de crimes de droit commun ; il ne lui n’importa guère, et 1,100 prisonniers, immédiatement relaxés, allèrent porter dans les bataillons fédérés des excitations à la paresse, à l’ivrognerie et à l’insubordination dont ceux-ci n’avaient pourtant pas besoin. Pendant qu’on lâchait ces mauvais sujets sur le pavé de Paris, on rendait des arrêts ridicules, et l’on s’ingéniait à fausser les formes de la justice ; on décrétait cette niaiserie : « Article 1er. MM. Thiers, Picard, Favre, Dufaure, Simon et Pothuau sont mis en accusation. Article 2. Leurs biens seront saisis et mis sous séquestre jusqu’à ce qu’ils aient comparu devant la justice du peuple. » On ne sait trop si ce sont les biens ou les ministres qui doivent comparaître, mais l’arbitraire impuissant n’y regarde pas de si près.

On libérait les condamnés militaires, on revenait aux mesures de confiscation si durement, si justement reprochées au régime renversé par la révolution française, on arrêtait les gendarmes, les prêtres, les magistrats, et, par esprit de compensation, on délivrait des criminels avérés. Des prévenus furent relaxés ; Raoul