Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chargement de blé ou de farine de Venise ou de Trieste à Bâle coûte moins cher que de Marseille à Bâle ? Il en sera de Gênes comme de Venise et Trieste, une fois le Saint-Gothard percé. La même cause d’infériorité existe pour Le Havre vis-à-vis d’Anvers ou d’Amsterdam. Avant que le mal s’étende, pourquoi ne pas adopter tout de suite, résolument, virilement, les mesures qui doivent conserver à notre pays tout le transit de l’Europe occidentale, et à Marseille, car c’est là qu’il faut en venir, l’importance commerciale qu’elle a acquise et qu’elle pourrait bien perdre avant peu ?

Un des plus grands inconvéniens du port de Marseille est de ne pas être aux embouchures mêmes du Rhône, et cela parce que lr Rhône, de son côté, a le défaut de n’être pas un fleuve aux eaux endiguées et profondes, et naturellement navigables. À ce point de vue, Marseille est de beaucoup inférieure à d’autres ports. Anvers est sur l’Escaut, Londres sur la Tamise, Liverpool sur la Mersey, New-York sur l’Hudson, et les bassins de ces ports peuvent s’étendre à perte de vue, le long même du fleuve qui les baigne et les alimente. Ils ont, de plus, l’avantage d’être tout à fait intérieurs. Il y a là bien des causes de supériorité dues à des conditions topographiques que Marseille ne possède pas. C’est pourquoi il ne faut point faire en sorte que les conditions économiques, nullement libérales, imposées à son commerce, viennent encore s’ajouter à des inconvéniens naturels. En somme, Marseille peut garder sa prééminence dans la Méditerranée et ne la perdre ni contre Gênes ou Trieste, reines du golfe génois et de l’Adriatique, ni contre Odessa, cette métropole de la Mer-Noire, encore moins contre Alexandrie ou Port-Saïd, qui commandent le canal de Suez ; mais pour cela il faut que Marseille et la France tout entière se liguent, luttent ensemble d’énergie et de volonté. Il faut en un mot empêcher à tout prix que l’évolution déjà provoquée et favorisée par la dernière guerre ait un cours fatal et s’achève au détriment de notre pays. Cette évolution, dont on trouverait si facilement des analogies dans l’histoire, tend aujourd’hui à détourner le commerce méditerranéen de la voie de Marseille et de l’isthme français pour le reporter vers le centre de l’Europe, le déplacer même à l’Orient. Caveant consules ! C’est ici que nos hommes d’état doivent ouvrir les yeux et prendre garde. Les faits sont éclatans, on pourrait au besoin les appuyer sur des chiffres. Il est donc temps d’aviser et de ne pas remettre à demain la solution d’un problème aussi grave.


L. SIMONIN.