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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/427

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des expéditions antérieures, organisées pourtant avec un certain luxe et à force d’argent ; mais, pour qui étudiait avec soin la guerre indienne, il était facile de mettre le doigt sur les fautes qui avaient produit ces revers et d’indiquer les moyens de s’en préserver. Sans doute le désert est toujours le désert. Il a ses périls propres, et quand une main malhabile veut en soulever les voiles, il se défend et se venge. On le savait, on ne l’abordait plus cavalièrement ; pour diminuer la part de l’inconnu, on avait puisé à toutes les sources. Vieux récits de voyages gisant dans les bibliothèques, renseignemens des Indiens soumis, des missionnaires, des espions, tout avait été consulté. Ces documens étaient souvent contradictoires ; en les triant avec soin, en les soumettant à une critique sévère, on en avait fait jaillir des lumières inattendues. On savait plus que ses devanciers, si l’on n’avait pas autant de charrettes, de soldats et de canons. C’était moins encombrant et plus utile. Contre vents et marée, le jour de l’expédition fut donc arrêté. On trouva au fond des coffres de quoi donner aux troupes trois mois de solde arriérée, un peu de mate et de tabac ; quelques milliers de bœufs et de moutons furent achetés à crédit, et les colonnes attendirent avec recueillement et anxiété l’ordre de se mettre en marche.

Le but de l’expédition était d’arracher aux Indiens une zone d’une trentaine de lieues de largeur moyenne sur une longueur de près de 100 lieues, c’est-à-dire sur tout le front que présente au désert la province de Buenos-Ayres et une partie de celle de Santa-Fé. Nous avons indiqué dans une autre étude[1] les principaux résultats qu’on attendait de cette opération ; ils étaient multiples. On redressait la frontière et on raccourcissait la ligne à couvrir en même temps que l’on profitait de barrières naturelles qui devaient en faciliter la défense. On enlevait aux Indiens leurs meilleurs pâturages, et on y installait les campemens, en ce moment situés dans des champs peu fertiles. On obligeait les sauvages, dans leurs incursions, à courir sans débrider durant 60 ou 70 lieues de plus, 30 ou 35 pour l’aller, autant pour le retour. Autrefois ils avaient tout le loisir, avant d’entrer en razzia, et en en revenant, de refaire leurs montures presqu’en vue de l’ancienne ligne de frontière. Maintenant ils ne pourraient les reposer qu’aux toldos. C’était imposer à leurs chevaux un surcroît de fatigue qui devait en avoir raison en peu de temps. Enfin, et là était le point essentiel, il arrivait de deux choses l’une : ou les Indiens se décidaient à se replier sur l’autre rive du Rio-Colorado, et une nouvelle étape de l’armée argentine vers le Rio-Negro, objectif définitif de cette

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1876.