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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/445

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nous mettait à l’abri de la soif. Il ne s’agissait plus que de s’installer. On s’en occupa dès le lendemain à la diane. Les instructions à cet égard étaient formelles.

On établit un camp retranché, couvert par un bon fossé et garni aux quatre angles de tourelles de gazon. Ce fut l’affaire de trois jours. Il est vrai que ce camp n’était pas très vaste ; c’était un carré de 120 mètres de côté. Cela suffisait pour les hommes sans les animaux, ou pour les animaux sans les hommes. Or les uns étaient aussi précieux à garder que les autres ; on entreprit donc sans désemparer des travaux plus considérables. On traça et on commença à retrancher de même les futurs logemens des deux corps et ceux de leurs chevaux. On réserva entre eux une place carrée destinée à devenir le centre d’une ville, dont l’ordonnance régulière et les rues à angle droit avaient été soigneusement respectées dans ces premières dispositions d’établissement. C’était la seconde ville dont j’avais eu à poser les jalons. Ce n’était pas la dernière ; mais, plus heureux désormais que dans mon coup d’essai, je devais voir éclore en peu de mois mes villes embryonnaires et quelques timides maisons en marquer le dessin sur le sol. Je me souviens en admirant leurs progrès de l’état où je les ai prises, et je fais toute sorte de rêves sur leur avenir.

Les Indiens ne nous laissèrent pas compléter nos préparatifs de défense. Ils nous avaient accordé quelque répit pour mettre en sûreté leurs familles et leur bétail à une trentaine de lieues de nous. Il fallut encore le temps nécessaire pour que la grande nouvelle circulât de tribu en tribu et que la indiada se mît en branle. Tout cela ne leur prit pas plus d’une semaine. Il s’agissait pourtant de mobiliser 3,000 hommes disséminés sur 1,000 lieues carrées. Nous ne fûmes pas surpris de leur diligence : nous nous attendions à les voir arriver plus tôt ; ils s’étaient attardés sans doute en conférences et en discussions sur ces graves événemens. Du reste, ils n’avaient pas un instant cessé de nous surveiller. On distinguait parfois sur le sommet de quelque dune éloignée un oiseau étrange qui battait des ailes en se posant sans qu’on l’eût vu planer dans le ciel. C’était un Indien qui, parvenu en rampant sur la crête du monticule au pied duquel il avait laissé son cheval, remuait les bras pour imiter un vautour qui s’abat, et demeurait ensuite accroupi et immobile à nous observer. D’autres fois un buisson isolé, que les soldats, observateurs aussi sagaces que les Indiens, avaient remarqué dès le premier jour, ne se retrouvait pas le matin à la place exacte qu’il occupait la veille. On surveillait le buisson ; au bout de deux jours on avait la certitude que c’était un buisson marchant, immobile seulement du lever au coucher du soleil. Il était