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beaucoup trop loin pour lui envoyer une balle. Un beau matin, il avait disparu.

J’étais ce matin-là dans la nouvelle ville, fort attentif à mes travaux de tranchée, quand pétilla de tous côtés la fusillade. Les Indiens étaient sur nous. C’était à croire à de la magie. Personne ne les avait vus venir. Ils ont l’art de se dissimuler dans les plis du terrain jusqu’au moment de fondre sur l’ennemi. La vitesse de leurs montures fait le reste. Ils sortent littéralement de dessous terre. Le but de cette charge soudaine était d’enlever nos chevaux. Ils manquèrent leur coup ; les chevaux étaient bien gardés. Ils disparurent comme ils étaient venus, subitement. On se compta, il manquait deux hommes, un garde national et un Indien soumis, qui parvint à s’évader au bout de peu de jours, et nous revint. Sa fuite fut la condamnation à mort de son compagnon de captivité, dont nous avons retrouvé plus tard le cadavre.

Alors commença une période bien propre à mettre à une rude épreuve les nerfs des gens bouillans qui ne rêvaient que batailles, et l’estomac de nos pauvres chevaux, déjà exténués, et que la tactique de nos adversaires était de réduire à une complète famine. On avait entassé tous les troupeaux dans une vallée facile à défendre, mais parfaitement aride, entre le campement et le lac. Ils y dépérissaient à vue d’œil. Comme malgré cela nous nous tenions strictement sur la défensive, notre inaction rendit les Indiens insolens. Ils venaient à deux ou trois, sur leurs plus brillans chevaux de guerre, se pavaner à un kilomètre de nous de l’autre côté du ruisseau. Il eût peut-être été bon ou de dédaigner tout à fait ces bravades, ou de les châtier efficacement. Le chef de l’expédition, ne faisait ni l’un ni l’autre. Il leur dépêchait quelques Indiens soumis qui se contentaient d’échanger de loin, avec leurs compatriotes, des provocations bruyantes et des gestes menaçans. D’autres fois deux ou trois soldats, auxquels on recommandait bien de ne point passer le ruisseau, leur envoyaient, sans mettre pied à terre, quelques balles sacrifiées d’avance. C’eût été un miracle si une seule eût porté. Les mouvemens du cheval, déviant sans cesse le long fusil de munition, empêchaient le tireur de viser, et l’Indien qui servait de point de mire, caracolant d’un air détaché, se donnait de garde de rester deux secondes en place. Aussi pas une ne porta. Ce n’était pas le moyen d’inspirer aux sauvages le respect de nos armes. Ceux-ci nous écrivirent aussi des lettres, qu’on trouvait le matin à deux cents pas des avant-postes, fichées en terre au bout d’un bâton. Elles étaient rédigées en assez bon espagnol, par un parent du cacique Namuncurá, élevé en d’autres temps à Buenos-Ayres aux frais du gouvernement argentin. C’étaient de curieux