Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelquesuns des leurs et une partie de leurs montures. Je pris souvent part, dans les trois premiers mois de l’installation, à ces chasses à l’homme, du reste assez monotones, et signalées quelquefois par des épisodes repoussans. Un jour un Indien auxiliaire nous rapporta, pendue à l’arçon de la selle, la tête d’un sauvage qui, fait prisonnier, avait essayé de poignarder le soldat qui l’amenait en croupe. « Cela m’a presque mis en colère, ajoutait l’Indien, et voilà ! » Du plus beau sang-froid du monde, il jetait la tête à nos pieds. L’acte de désespoir de l’Indien pris était bien naturel ; il savait qu’en arrivant il serait passé par les armes.

Dans la pampa, on ne fait pas de prisonniers. On applique aux Indiens dans toute leur rigueur les vieilles lois militaires des Espagnols sur les bandits et les coupeurs de routes. C’est déjà un trait d’humanité d’en fusiller un au lieu de lui infliger l’affreuse mort à coups de lance. Chaque parti accuse l’autre d’avoir imprimé à la guerre ce caractère impitoyable, et il est pénible d’ajouter que, d’après des témoignages impartiaux, ce seraient les chrétiens qui, au nom des antiques ordonnances de Castille, auraient donné d’abord ces tristes exemples. Sans juger ces exécutions sommaires au point de vue moral, on peut affirmer qu’au point de vue pratique elles sont une maladresse. Les guerres sans quartier, les guerres d’extermination, ne sont pas seulement les plus barbares, elles sont les plus tenaces et les plus dangereuses.

L’hiver me ramena à Buenos-Ayres. J’y suivais avec Un intérêt profond, car la conquête du désert passionne, les tentatives désespérées des Indiens contre cette ligne maudite. Pendant six mois, aucun échec ne les rebuta, ou plutôt la famine, qui commençait à se faire sentir chez eux, les poussait en avant quand même. Ils varièrent de mille façons leurs attaques » ils décidèrent à se soulever et à venir grossir leurs rangs toutes les tribus « apprivoisées » installées en dedans de l’ancienne frontière, ils ne purent jamais faire franchir à des troupeaux la double ligne de défense qu’on leur avait opposée. Ce départ des tribus soumises, qui ne laissa pas d’être signalé par des ravages et des excès cruels, fut en définitive un grand débarras.

Lorsqu’il arriva, j’étais de nouveau en route vers le désert, et à quelques lieues des points que leurs bandes parcouraient. Je conduisais un convoi de terrassiers, et j’allais prendre la direction des travaux de défense et d’organisation dont on avait mûri les plans durant cet intervalle. Tout ce qu’on avait fait jusqu’à présent n’était qu’une entrée en matière. On s’était mis dans des conditions un peu meilleures que les devanciers pour tenir en échec les Indiens. On était provisoirement resté fidèle, dans les traits généraux,