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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/49

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Vers quatre heures du matin, M. Durlin fit l’appel des vingt-sept prisonniers dont il était responsable ; aidé par les surveillans et par Deville lui-même, il les conduisit d’abord au poste de l’Horloge, dans l’avenue du Palais. On n’y put rester, car les balles frappaient la muraille ; on se rendit alors dans les constructions de la future chambre syndicale, rue de Constantine ; les projectiles en chassèrent encore les fugitifs, qui ne trouvèrent un refuge assuré que dans la sellerie de la caserne de la Cité. Un des détenus s’évada, traversa le Petit-Pont et fut rattrapé, sous une grêle de balles, au coin de la rue Saint-Jacques par les surveillans Génin et Rambaud. Sauver les prisonniers dans des circonstances semblables, à travers l’incendie et la bataille, les maintenir dans des gîtes mal fermés et les rendre à la justice comme un dépôt sacré, est un trait d’héroïsme qui est l’honneur même du devoir professionnel. Le directeur Deville s’est courageusement et sans restriction associé à ces efforts ; il voulait remettre lui-même ses détenus au procureur-général : on lui fit comprendre que l’intérêt de sa propre sécurité devait l’engager à disparaître. Il prit la fuite, se réfugia à l’étranger, et n’eut point à comparaître devant les tribunaux ; ceux-ci sans doute se seraient montrés indulgens à son égard, car il exerça d’une façon irréprochable les fonctions qu’il avait eu le tort d’usurper.


II. — SAINT-LAZARE.

Le directeur de la maison d’arrêt et de correction pour femmes s’était rendu à Versailles en même temps que les chefs de son administration centrale ; il fut promptement remplacé par Philippe Hesse, ancien marchand colporteur, qui pendant le siège avait été lieutenant de garde nationale. C’était un homme de trente-quatre ans, autoritaire et ponctuel, sachant se faire obéir et menant son service avec une certaine régularité. Il était redouté, et dans la maison on répétait volontiers à voix basse qu’il avait été forçat ; c’est une erreur : il avait fait un congé au 20e bataillon de chasseurs à pied et n’avait aucun antécédent fâcheux. Son esprit rompu à la discipline militaire lui avait fait comprendre l’utilité de la hiérarchie ; il sut être maître avec fermeté, mais sans exagération. La direction de Saint-Lazare appartient moins au directeur administratif qu’à la supérieure, — à la mère, — des sœurs de Marie-Joseph, qui ont la haute main sur toutes les détenues, quelles qu’elles soient. Leur autorité est telle que le directeur et le brigadier peuvent seuls pénétrer dans l’intérieur de la prison, dont tout le service est fait par une quarantaine de religieuses. Celles-ci furent à la fois très simples et très hardies ; elles gardèrent leur