Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

robe noire, leur béguin blanc, leur voile bleu, le long chapelet qui pend à leur ceinture, et continuèrent à surveiller les malheureuses dont elles ont accepté de prendre soin. La mère, sœur Marie-Éléonore, était une femme encore assez jeune, qui conduisait son troupeau avec une sorte de ferme enjouement, fort peu rassurée par ce qui se passait autour d’elle, mais cachant ses émotions, réconfortant les faibles, se confiant à la Providence, fort aimée de toutes les détenues et mettant dans ses actions assez d’habile diplomatie pour avoir réussi à sauver toute la communauté de Saint-Lazare, dont elle était, dont elle est encore la supérieure.

En présence d’un directeur énergique sans excès et d’un bon personnel de gardiens demeurés fidèles à la prison, le sort des religieuses n’aurait peut-être pas été trop mauvais, si deux méchans drôles ne s’étaient installés à Saint-Lazare par ordre de Raoul Rigault et n’y avaient fait toutes les sottises imaginables. L’un s’appelait La Brunière de Médicis, l’autre avait pris le surnom de Méphisto, que nous lui laisserons. Le premier était pompier, c’est-à-dire ouvrier tailleur à façon ; il avait servi pendant quatorze ans au 1er zouaves, où il s’était distingué ; une blessure lui avait enlevé l’annulaire de la main droite et il avait pris sa retraite en janvier 1865 avec une pension annuelle de 480 francs. Ce fut la période d’investissement qui le perdit, ainsi que tant d’autres. Au lieu de rentrer simplement dans l’armée régulière, comme un bon soldat qu’il avait été, il voulut commander à son tour, avoir quelques galons sur la manche ; il forma le corps franc des Amis de la France, en fut lieutenant, se grisa du matin au soir, et, ayant pris goût à cette paresse fastueuse doublée d’ivrognerie, il fut nommé capitaine d’état-major après le 18 mars et attaché au cabinet de Raoul Rigault en qualité de brigadier des inspecteurs politiques. Cette fonction ne lui suffisant pas, il prit la direction du service des mœurs, sur lequel il se faisait sans doute les illusions que répandent les mauvais sujets de Paris. C’est à ce titre qu’il s’introduisit à Saint-Lazare ou, pour mieux dire, qu’il s’en empara. Il y vécut pendant toute la durée du gouvernement insurrectionnel et logeait dans les bâtimens où sont établis les magasins généraux. Sa qualité de chef du service des mœurs était fort respectée par Philippe Hesse, qui lui laissait beaucoup trop faire ce qu’il voulait.

La Brunière de Médicis partageait son logement, ses repas et le reste avec Méphisto, qui, étant artiste en cheveux, c’est-à-dire fabricant de perruques, avait été nommé d’emblée au poste d’inspecteur des prisons. La qualification d’artiste en cheveux n’était qu’une enseigne qui servait à cacher un métier difficile à définir, qui ne porte de nom honnête dans aucune langue et qui consiste à protéger le sexe faible. Ce Méphisto était le type du bellâtre ; de