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trouvé un ingénieux moyen de se le procurer. Sous prétexte de former des défenseurs pour la patrie, il enseignait le maniement des armes à de jeunes citoyens encore trop embryonnaires pour être régulièrement incorporés ; il les réunissait dans la salle du théâtre Déjazet et leur commandait l’exercice : après chaque séance, le capitaine instructeur faisait lui-même une collecte qu’il recevait dans son képi pour les pauvres blessés qui manquaient de tout aux ambulances. Le produit de ces quêtes, incessamment renouvelées, ne fut jamais versé que dans son gosier. Comme les vieux singes, il avait plus d’un tour dans son sac ; lorsque la quête en faveur des blessés ne lui paraissait pas suffisante, il n’était point embarrassé pour se procurer honnêtement quelques ressources. Le 19 avril, il arrête à Saint-Lazare le surveillant Gelly et le conduit à Raoul Rigault. Gelly est écroué au dépôt, et, le 27, transporté à Mazas. La Brunière fait valoir cette capture importante : Rigault comprend et lui donne une gratification de 25 francs. La Brunière trouve la somme maigrelette et se plaint ; Rigault fait appel à son patriotisme : les temps sont durs, l’argent est rare, plus tard on fera mieux. La Brunière revient à Saint-Lazare de fort méchante humeur, se rend au domicile de Gelly, perquisitionne avec conscience, découvre 45 francs, les met dans sa poche ; puis signant, séance tenante, un mandat d’arrestation, il saisit Mme Gelly, sa fille, âgée de neuf ans, et les incarcère lui-même dans la prison, où elles restent détenues jusqu’au 25 mai.

Méphisto et La Brunière de Médicis poursuivaient une idée fixe, quoique peu pratique, en venant s’installer à Saint-Lazare. Ils savaient que la maison de retraite des sœurs de la congrégation de Marie-Joseph est située à Argenteuil, et tous deux s’étaient mis en tête le projet patriotique de découvrir le souterrain qui va de la vieille maison de Saint-Vincent-de-Paul à Argenteuil[1]. Deux bras de la Seine et huit kilomètres à vol d’oiseau n’inspiraient aucun doute à ces deux niais sur la réalité de leurs billevesées. Il est probable cependant que Méphisto s’associait à La Brunière dans cette recherche insensée pour mieux capter sa confiance et pouvoir continuer à faire ses petites excursions extra muros sans éveiller les soupçons de son ami. Du reste, il est possible que tous deux aient été sérieusement atteints par l’épidémie qui régna pendant la commune et que l’on pourrait appeler la monomanie du souterrain. On

  1. On avait aussi cherché des armes à Saint-Lazare ; cela ressort de la lettre suivante : « Citoyen Duval, comme depuis huit jours je ne travaille qu’à des recherches de mitrailleuses, etc., et que je suis depuis ce matin à la prison Saint-Lazare et que je n’ai plus un sous, je vous prie de me faire donner quelque chose. Salut et fraternité : signature illisible, ex-commandant du 177e bataillon. — Je prie Replan (caissier à la préfecture de police) de donner 20 francs au porteur. — Général E. DUVAL. »