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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/547

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une mine aussi riche, et l’on pourrait citer plusieurs chapeaux qui lui rapportèrent un peu plus que celui d’Ottoboni. Odescalchi, qui fut pape plus tard sous le nom d’Innocent XI, ne s’en tira pas si adroitement. D’après des relations non suspectes, il n’obtint son chapeau qu’en échange d’une armoire en argent ciselé dont la signora s’était follement éprise et qui lui coûta 8,000 écus d’or, c’est-à-dire 80,000 livres de l’époque. D’après une déclaration faite en plein parlement, le 22 septembre 1648, par le président de Novion, le chapeau du frère de Mazarin ne coûta pas moins de 12 millions à la France. Ce ne fut qu’à ce prix que le tout-puissant ministre put surmonter les répugnances d’Innocent, et l’on peut présumer, sans crainte de se tromper, que la signora Olimpia toucha une bonne partie de la somme.

Aussi peu scrupuleuse sur les moyens de s’enrichir qu’habile politique, la signora n’hésitait pas à sacrifier ses haines les plus vives à sa passion des richesses. A l’avènement d’Innocent X, elle avait contribué plus que personne à pousser les Barberini à deux doigts de leur ruine. Elle avait fait séquestrer leurs domaines, tandis qu’ils prenaient le chemin de l’exil. Au lieu de poursuivre leur procès et la confiscation de leurs biens, dont le produit eût été versé tout entier dans le trésor public, qu’imagina-t-elle? Elle trouva plus ingénieux de les faire entrer dans sa propre famille en faisant épouser par un neveu des Barberini la fille unique de son gendre, le prince Giustiniani. La principale condition du traité fut que tous les biens sous le séquestre seraient restitués aux cardinaux François et Antoine pour qu’ils pussent en jouir de leur vivant, mais qu’après leur mort ils serviraient de dot à la jeune princesse. Les deux frères ayant accepté cette proposition avec joie, Olimpia s’empara ainsi de leurs immenses trésors d’un seul coup de filet. Rentrés en grâce et même dans l’administration des finances, les deux Barberini s’attachèrent de leur mieux à réparer leurs pertes en exploitant de nouveau, de compte à demi avec la signora, la vigne du Seigneur.

Lorsque plus tard le vertueux Alexandre VII parvint au pontificat, d’innombrables plaintes arrivèrent jusqu’à lui. Transporté d’une sainte indignation, il ordonna sur-le-champ à ses ministres et à des inquisiteurs secrets de faire une vaste enquête sur les rapines de tout genre de la signora Olimpia. Chaque jour révélait de nouvelles abominations : le peuple criait vengeance. Dans le premier moment, le pape eut l’intention de faire enfermer la signora dans la forteresse d’Orvieto ; mais il se contenta de la reléguer à Viterbe, dans le patrimoine de saint Pierre. En vain la princesse de Rossano, le prince Pamfili et les Barberini intercédèrent pour elle; le pape leur refusa des audiences et ordonna que le procès fût entamé et les témoins