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entendus. On avait dressé un acte d’accusation formidable ; et un commissaire fut envoyé à Viterbe pour y interroger la signora sur tous les chefs et pour la sommer d’y répondre sous peine d’excommunication. Ces chefs roulaient sur les méfaits qu’elle avait commis dans la daterie, sur ses simonies, sur le trafic des bénéfices ecclésiastiques, sur les sommes qu’elle avait perçues par les impositions, tailles, gabelles, fermes, qui étaient remises en entier entre ses mains par les exacteurs, enfin sur les vols qu’elle avait commis jusque dans les églises et au Vatican en s’emparant des pierreries contenues dans leurs trésors. Le montant de toutes ces rapines était évalué à 2 millions 1/2 de ducats d’or, c’est-à-dire à 25 millions de livres de l’époque, qui, multipliés par 5, s’élèvent à 125 millions de francs de nos jours. Le procès suivait son cours lorsque la peste fondit tout à coup sur l’Italie et mit toutes les affaires en suspens. La signora Olimpia fut emportée par le fléau, abandonnée sans assistance à ses derniers momens par ses nombreux domestiques, qui s’étaient enfuis en emportant ses pierreries. Après sa mort, et lorsque la peste se fut retirée, au grand étonnement des Romains, il ne fut pas donné suite aux procédures. Alexandre VII comprit sans doute qu’il ne fallait pas aller plus avant de peur qu’il n’en rejaillît quelque chose sur la mémoire de son prédécesseur qu’à tout le moins on pouvait taxer de faiblesse à l’égard de dona Olimpia. Ainsi ces poursuites entamées avec tant d’éclat s’éteignirent sans bruit.

La signora laissait dans sa succession son beau palais de la place Navone, le plus magnifique de Rome avec le palais Borghèse. C’est celui qui porte aujourd’hui le nom de Doria-Pamfili et qui attire tous les voyageurs, autant par la magnificence de ses proportions et de son architecture que par sa riche galerie de tableaux. Parmi les œuvres des grands maîtres, on y remarque un admirable portrait d’Innocent X par Velasquez, véritable merveille de coloris. « Sur un fauteuil rouge, dit M. Taine, devant une tenture rouge, sous une calotte rouge, une figure rouge,... Velasquez a fait avec cela un tableau qu’on n’oublie pas. » Dans cette même galerie, on remarque deux portraits d’Olimpia, l’un de la jeunesse, l’autre de l’âge mûr; elle y porte le même costume, d’un aspect tout monastique, et un chapeau rond en feutre noir. Rien ne saurait rendre le regard profond et dominateur de ses grands yeux noirs qui respirent la force et l’audace et qui semblent n’avoir jamais exprimé les ivresses de l’amour. Sur le Janicule, dans cette délicieuse villa Pamfili, qu’elle a fait aussi construire, on trouve son buste en marbre à côté de celui d’Innocent X. « Quand on les compare, dit Ranke, quand on rapproche ces traits de la femme, qui expriment de la résolution et de l’esprit, de la figure douce et sans expression du pape, on voit qu’il était