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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/56

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avec ses sœurs ; elle s’en donna garde. Le même jour » La Brunière de Médicis demandait à Raoul Rigault quelques agens intelligens et se faisait fort d’aller, en leur compagnie, enlever toute la communauté à Argenteuil. Le délégué à la sûreté générale paraît n’avoir pas estimé que ce projet fût praticable.

Les sœurs furent remplacées par des surveillantes laïques qui, d’après un gardien, furent choisies parmi les « maîtresses de ces messieurs. » On redoutait sans doute quelques désordres intérieurs, car deux membres influées de la commune, Delescluze et Vermorel, vinrent eux-mêmes recommander au directeur de maintenir une discipline sévère dans la maison. Cette discipline, Philippe Hesse sut la faire prévaloir tant qu’il fut à la tête de Saint-Lazare ; mais le 26 avril il dut reprendre l’uniforme d’officier fédéré et céder la place à Pierre-Charles Mouton, ouvrier cordonnier, qui sortait de la direction de Mazas, où nous le retrouverons. Mouton n’avait pas grande foi dans la durée de la commune, il disait volontiers : « Les versaillais gagneront sur nous, il faut profiter du bon temps, » et il en profitait. C’était un ivrogne fieffé et toujours titubant. Le soir il aimait à faire porter des bouteilles de vin blanc et de la charcuterie dans la section de la correction paternelle ; il y recevait ses amis et avait établi là un petit paradis de Mahomet qu’il vaut mieux ne pas décrire trop minutieusement. Les surveillantes laïques n’avaient point un cœur de roc et ne fermaient pas trop durement la porte au nez des fédérés qui venaient voir « leur bonne amie. » On peut croire que Saint-Lazare eut "quelques distractions pendant les dernières semaines de la commune.

Les mises en liberté étaient fréquentes ; Raoul Rigault s’en occupait lui-même, ainsi que le prouve la lettre suivante adressée au directeur : « Par ordre du citoyen procureur de la commune, vous envairez chaque matin au secrétariat général de son parquet au PALAIT de Justice l’état des entrées et des sorties de la maison que vous dirigez ; salut et égalité, — Le secrétaire général, G. FOURRIER. 4 mai 1871. » Une autre lettre, sans date, mérite d’être citée à cause du bon sentiment qui l’inspire et de la naïveté du style : « Je prie le citoyen directeur de la prison de Saint-Lazare de laisser communiquer la citoyenne X… pour une question d’humanité. Elle veut porter à allaiter l’enfant à sa mère. Surveillez-la afin de me mettre à couvert ; mais je pense que la république ne doit point priver l’enfant du sein de sa mère. — Le chef de la sûreté, CATTELAIN. » On tenait, paraît-il, à ce que la prison fut souvent inspectée ; mais l’inspecteur général, George Michel, ne savait trop comment assurer ce service, car il n’était pas en rapports bien constans avec son personnel en sous-ordre. Le 18 avril, il écrit au directeur de Saint-Lazare : « Avez-vous reçu la visite de l’inspecteur ? Je vous