Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

postes avancés, où l’insurrection avait organisé de très sérieux ouvrages de résistance. Pendant le siège, l’école avait été convertie en ambulance, et cette destination lui fut conservée sous la commune. Certes les dominicains ne pouvaient aimer ni servir un prétendu gouvernement qui transformait les églises en clubs, interdisait l’exercice du culte et faisait incarcérer les prêtres ; mais, autant par esprit de charité que par intérêt de conservation personnelle, ils recueillaient les fédérés blessés et les soignaient avec dévoûment sans leur demander compte de leurs croyances ou de leur impiété. Ils purent se figurer pendant longtemps qu’ils seraient respectés, que l’on continuerait à utiliser leurs services, et que leur maison serait protégée par la croix de Genève. Jusqu’aux avant-derniers jours de la commune, ils n’eurent guère à supporter que des insultes ; on les appelait vieilles soutanes, marchands de bêtises et autres aménités qu’ils faisaient semblant de ne pas entendre. Dans le quartier, la maison passait pour riche. On parlait volontiers des trésors que l’on y cachait et de l’esprit réactionnaire qui en animait les habitans. Les dominicains laissaient dire, faisaient la sourde oreille, ne se montraient en public que le plus rarement possible, et s’en fiaient à la grâce de Dieu.

Serizier avait établi son quartier général dans le château du marquis de La Place, contigu à l’école d’Albert le Grand ; il était là, entouré de son 101e bataillon. Des fenêtres du salon qu’il occupait, voyant la maison et le jardin des dominicains, il disait à ses amis et surtout à son confident Louis Boin, corroyeur comme lui et surnommé Bobèche : — Tous ces curés-là ne sont bons qu’à être rôtis ! — Bobèche opinait du bonnet : — Oui, répondait-il, ils abrutissent les populations ! — Il est à remarquer que ce lieu commun est incessamment répété par des brutes absolument bêtes et tout à fait ignorantes ; l’alcool leur suffit cependant, et la religion n’y est pour rien ! La prise du fort d’Issy par l’armée française aggrava singulièrement la position déjà fort mauvaise des dominicains. Les fédérés ayant été forcés d’évacuer les défenses complémentaires du fort se replièrent vers Arcueil et Cachan, de sorte que toute la 13e légion vint camper aux environs de l’école. Les pères faisaient contre fortune bon cœur ; mais ils commençaient à comprendre que leur ambulance ne leur servirait pas toujours de sauvegarde.

Le 17 mai, le feu prit dans la toiture du château de La Place ; les dominicains retroussèrent vaillamment leur robe et s’employèrent si bien qu’ils maîtrisèrent vite ce commencement d’incendie. Ils furent mandés auprès de Serizier. S’attendant à être félicités sur leur belle conduite, ils ne furent pas peu surpris de s’entendre traiter de mouchards et de sergens de ville déguisés. Leur étonnement